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© DR - PERSONA d'Ingmar Bergman - 1966 p15
17/02/2013 03:44
Commentaire par Olivier Bitoun (suite 13)
Bergman, lorsqu’il filme la rencontre entre la doctoresse et sa patiente, filme longtemps le seul visage d’Elisabet, donnant l’impression que la voix de la praticienne est un produit de l’esprit de l’actrice. Elle pourrait être une voix intérieure, elle est du moins le déclencheur de l’histoire entre Elisabet et Alma en envoyant les deux femmes à Fårö.
Comme dans A travers le miroir (et plus tard L’Heure du loup, Une Passion), les personnages du film vont se trouver circonscrits aux limites de cette île de la Baltique, territoire mental où la raison s’échappe, où la folie peut à tout instant contaminer chaque chose.Un espace à la réalité mouvante qui épouse les circonvolutions des rêves et des fantasmes. Un monde cerveau,comme on dit à propos des oeuvres de Kubrick. Un monde replié sur lui-même, cerné par la mer, une émanation de la psyché d’Elisabet Vogler et des barrières qu’elle s’est construites.
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© DR - PERSONA d'Ingmar Bergman - 1966 p16
17/02/2013 03:58
Commentaire par Olivier Bitoun (suite 14)
Elisabet désirerait ne plus vivre que par son corps.Ce corps qu’Alma décrit détail après détail : « ton visage est bouffi, ta bouche vilaine, une ride barre ton front, tu as une cicatrice au cou ».(Sympa !)Ce corps physique qui est le seul lien tangible au monde.Persona nous parle de l’attrait pour l’autre,du désir de s’en rapprocher de s’enfouir en lui. L’enfant caresse le visage de sa mère projeté sur un écran géant, deux visages se confondent et ne font plus qu’un.Bergman nous parle de l’irrépressible besoin, du désir ardent, de ne faire qu’un avec l’être aimé et de l’impossibilité de cette fusion. Lorsque les deux visages se complètent, lorsque Bergman semble nous montrer la possibilité du rapprochement des êtres, le visage recréé est asynchrone, il ne "fonctionne"pas, il nous met mal à l’aise.
Être au monde, être par rapport à l’autre, voilà les courants souterrains de l’œuvre de Bergman. Voilà des questions essentielles que le cinéma s’est si peu approprié alors qu’il a les plus beaux outils pour les exprimer. (ça c'est ce que j'appelle de la critique )
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© DR - PERSONA d'Ingmar Bergman - 1966 p17
17/02/2013 04:12
Commentaire par Olivier Bitoun (suite 15)
Bergman convoque Jung de manière affichée, la persona représentant dans ses théories le masque social. En donnant comme titre à son film ce terme évocateur de la pensée du psychanalyste, Bergman joue sur le même niveau de représentation qu’en affichant les artifices du cinéma. Il lui semble inutile de cacher artificiellement ces influences et préfère, d’entrée de jeu, les mettre en exergue de son film. C’est peut-être une manière pour le cinéaste de couper l’herbe sous le pied du critique qui voudrait faire une lecture psychanalytique de son film, manière également de donner des clés de compréhension à chaque spectateur un tant soit peu curieux. Ici pas de métaphore, de clin d’œil adressé à un public averti.
Pour essayer d’être aussi honnête que Bergman, et pour éviter au lecteur une recherche dans Wikipedia, reprenons telle quelle la définition de la persona qui y est proposée : « la part de la personnalité qui organise le rapport de l'individu à la société, la façon dont chacun doit plus ou moins se couler dans un personnage socialement prédéfini afin de tenir son rôle social (…) Le moi peut facilement s'identifier à la persona conduisant l'individu à se prendre pour celui qu'il est aux yeux des autres et à ne plus savoir qui il est réellement ». On voit que Bergman illustre au pied de la lettre, et non sans humour, les théories de Carl Jung.
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Le titre du film renvoie également aux masques que portaient les acteurs de la Rome antique. Ceux-ci personnifiaient le rôle et permettaient à l’acteur de faire porter sa voix haut dans les gradins. Dans le film, Elisabet Vogler en perdant son masque, perd également sa voix.
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© DR - PERSONA d'Ingmar Bergman - 1966 p18
17/02/2013 04:23
Commentaire par Olivier Bitoun (suite 16) L’actrice se condamne au silence, se met à l’écart du monde. Souvent les personnages de Bergman s’imposent le mutisme (La Honte, Le Visage, Le Silence). Face à cette figure silencieuse, on ne peut plus que regarder pour essayer de comprendre.C’est le sens de la scène originelle, où devant l’écran de cinéma l’enfant contemple le visage de sa mère, tentant d’en percer le secret. Il caresse ce visage, mais celui-ci n’est qu’une surface plane, sans relief.Tous les autres sens ayant disparu, il ne reste plus que le regard. Comme on l’a vu, Bergman joue sur la place du spectateur, son investissement par rapport au film, soulignés par les nombreux regards qui parsèment l’œuvre(et que l’on retrouve dans L’Heure du loup, Monika, L’Oeil du diable). Mais Bergman nous montre surtout les artifices qui sont en jeu dans notre quotidien, tout ce que l’on voit et que l’on pense comprendre alors qu’il n’en est rien. Notre rapport au monde, encore et toujours, thème primordial de l’œuvre de Bergman, celui des Communiants, cœur palpitant de Persona.Bergman nous parle ici de ce rapport à travers les tourments de l’artiste, de l’acteur auquel le cinéaste a toujours prêté toute son attention et son empathie et qui lui permet d’évoquer au plus profond la frontière entre création artistique et réalité.Vogler, le magnétiseur du Visage, exprimait la douleur des acteurs, des artistes, la douleur de voir le monde réel glisser sous leurs pieds, la douleur de se mouvoir sur les terres instables de la recréation du monde par l’art. Elisabet souffre des mêmes affects. A force de porter un masque, une persona, elle ressent le besoin de se raccrocher au réel.
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© DR - PERSONA d'Ingmar Bergman - 1966 p19
17/02/2013 04:33
Commentaire par Olivier Bitoun (suite 17)
Les images d’actualité qui la tétanisent et l’effrayent, sont un moyen de renouer avec la douleur du monde, cette douleur pour laquelle le pasteur des Communiants ne parvenait plus à avoir d’empathie.Au début du film, Elisabet regarde terrorisée la télé. Un contre-champ nous fait découvrir des images d’actualité, images insoutenables d’un homme qui s’immole. Ces images sont circonscrites au cadre de la télévision mais un cut vient effacer cette frontière physique et les actualités envahissent alors la totalité de l’écran.
La réalité s’est invitée dans la fiction, a repris ses droits. Elisabet est parvenue un instant à quitter la sphère de la représentation du monde pour un instant renouer avec la réalité. Plus tard c’est la célèbre photo d’un enfant juif arrêté, les bras en l’air sous la menace de soldats allemands,qu’elle scrute inlassablement.Elle passe de visages en visages afin d’essayer de reconstituer la chair de ce drame, d’essayer de comprendre ce qui s’est passé.
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