|
|
|
|
|
©-DR- CHAINES CONJUGALES de Joseph.L. Mankiewicz (1949) p10
05/07/2016 05:07
DVD Classik
Or, Mankiewicz fait le choix de l'équilibre, il redonne à ses personnages du souffle et une indépendance psychologique, tout en témoignant d'une très belle compréhension des enjeux à la fois personnels et maritaux. Il libère les personnages de leurs chaines conjugales pour mieux leur redonner foi en une édification par le couple. Celui-ci n'emprisonne pas, n'entrave pas et ne nie pas.
Il doit être le propulseur d'une vie, l'affirmation de sa propre personnalité par le biais de l'autre, la transcendance de son statut d'indépendance par l'interdépendance, la liberté morale par la confiance l'un en l'autre. Confiance qui doit par ailleurs également nécessairement passer par la confiance en soi. Une assurance à retrouver. L'amour pour l'autre et l'amour propre ne sont pas des antagonistes, ce sont au contraire les complices d'un crime, celui de l'indépendance dans une société qui souhaiterait pouvoir tout contrôler, absolument tout, jusqu'à nos idées les plus établies sur ce que doit soi-disant être une vie réussie.
Réussite sociale, encore et toujours, et qui oppresse les personnages féminins du récit. Le féminisme intervient en ces lieux de façon astucieuse, non pas pour atteindre un but social (une situation professionnelle, un salaire, un niveau de vie, un équilibre de façade en regard des hommes), mais de fait dans l'étreinte d'une liberté morale individuelle qui voit enfin le jour dans la dernière partie du film. Qu'importe le degré de la réussite d'un point de vue occidental traditionaliste, et mieux vaut rechercher son propre bonheur, donner une chance à ses aspirations, celles simples comme celles plus complexes.
Mankiewicz exalte le soi et rejette la conformité à un modèle, tout en responsabilisant les hommes vis-à-vis de ce statut hybride et difficile qu'affrontent leurs femmes. Si le mariage est célébré, institution effectivement traditionaliste, c'est pour mieux révéler ce qui en constitue la saveur et ses pôles de liberté. Les trois couples sont là pour en témoigner.
| |
|
|
|
|
|
|
|
©-DR- CHAINES CONJUGALES de Joseph.L. Mankiewicz (1949) p11
05/07/2016 16:18
DVD Classik
La première histoire présente Deborah et Brad Bishop, nouvellement mariés juste après la Deuxième Guerre Mondiale. Identiques l'un et l'autre sous les drapeaux, ils font éclater leurs différences dès leur retour. Lui est un gentleman bien établit, prospère et éduqué, sorte de personnalité très populaire au sein du gotha de la ville. Elle est une fille de paysans, une jeune femme un peu fruste issue de la classe populaire.
La disparité est totale et implose rapidement. Si le mari n'en n'a cure et ne se pose aucune question à propos des difficultés que cela cause, sa femme, elle, n'en démord pas. Inquiète, timide, gauche, elle croit progressivement perdre son couple. Comment cet homme, si beau et si sûr de lui, incarnant la réussite à l'américaine, peut-il accepter de faire sa vie avec elle ? Le périple de Deborah s'apparente à la négation de sa personnalité, voyant ses origines et sa nature comme autant d'obstacles lui imposant forcément la médiocrité dont elle souffre en société. Il lui faudra aller au-delà de ce raisonnement pour prendre enfin conscience de la force de son couple, fort et pérenne.
C'est par le biais de l'épreuve que lui inflige Addie, la femme fatale pourtant mature et clairvoyante (il suffit d'écouter la voix-off afin de comprendre que l'on ne peut pas la ranger dans un carcan préétabli), que Deborah pourra surpasser ses craintes presque traumatiques pour enfin embrasser son bonheur, à savoir celui d'une femme mariée qui a tant besoin d'avoir confiance en elle.
| |
|
|
|
|
|
|
|
©-DR- CHAINES CONJUGALES de Joseph.L. Mankiewicz (1949) p12
05/07/2016 16:22
Plus intéressant est le deuxième couple, formé par Rita et George Phipps. Rita est une travailleuse acharnée, dévouée à son travail et déterminée à grimper les échelons sociaux. Son mari, le très intelligent et adorable George, est un professeur de Lettres. Instruit et d'attitude simple, George est heureux en couple et se bat contre la domination écrasante de traditions sociales et sociétales qui vont selon lui à l'encontre de la possibilité du bonheur. Sa femme gagne bien mieux sa vie que lui, ce qui ne le dérange en aucune façon mais qui, à l'époque, constitue un sacré pari de la part du film.
Rappelons que l'idée selon laquelle la femme peut gagner davantage d'argent que son mari demeure en définitive récente, et pose encore aujourd'hui bien des problèmes à nos sociétés modernes encore excessivement phallocrates. Si cela reste aujourd'hui régulièrement discuté, pour ne pas dire mal vu, imaginons un instant ce que cela pouvait donner dans un pays célébrant dans les années 1950 le triomphe du self made man. Les USA apparaissaient plus conformistes que jamais, faisant du personnage de George une sorte de paria. Un homme « entretenu » selon les mauvaises langues, doublé d'un intellectuel refusant l'abrutissement des masses.
Un être humain qui ne pense pas comme les autres, apprécié de ses amis qui n'en comprennent pas nécessairement l'attitude, et dédaigné par une haute société qui voit en lui un homme de peu de valeur. Il faut entendre son discours sur la publicité pour convenir du fait que rien n'a changé depuis. C'est même devenu bien pire. Perspicace, il cible bien ses répliques et traduit l'idée d'un monde qui va vers l'uniformisation de la pensée. A ses côtés, Rita ne voit que sa carrière.
| |
|
|
|
|
|
|
|
©-DR- CHAINES CONJUGALES de Joseph.L. Mankiewicz (1949) p13
05/07/2016 16:39
Linda Darnell - Ann Sothern - Jeanne Crain
*
*
Elle aime infiniment son mari, mais ne comprend pas son attitude. Elle donne tout à son statut social, poursuivant les hauteurs de ses espérances en piétinant sa propre personnalité. Car ce faisant, Rita nie la possibilité du bonheur. Elle croit penser à elle et à sa famille, mais ne fait en réalité que conclure un pacte de solidarité avec ce que lui impose la société américaine. Travailler ou élever ses enfants, voilà tout. L'un mène à l'aliénation, l'autre à la solitude du fantasme.
La femme n'a guère le choix, elle doit endurer la perte de ses convictions ou bien gravir seule les échelons d'un monde qui ne lui passera aucune des erreurs pourtant tolérées chez un homme. A noter que jamais le film ne lui demandera de choisir entre son couple et sa vie professionnelle, mais simplement de procéder au choix d'un équilibre, démontrant par là toute la difficulté à se parer d'une liberté mentale arrachée au prix de douloureux combats psychologiques.
Rita incarne la femme au travail, aux prises avec un pays qui ne goûte que peu à son schéma familial. Une femme qui a tout mais qui, là encore, échoue à prendre confiance en elle, tiraillée entre plusieurs tendances qu'elle ne devrait pourtant pas avoir à affronter si les institutions étaient plus libérales qu'elles ne le sont en réalités.
| |
|
|
|
|
|
|
|
©-DR- CHAINES CONJUGALES de Joseph.L. Mankiewicz (1949) p14
05/07/2016 16:47
Enfin, Lora Mae et Porter Hollingsway forment peut-être le couple le plus intéressant et, dans les dernières secondes, le plus touchant. Lui est un homme d'affaires coriace et divorcé, un gros ours sans manières considérant la gente féminine comme une série de conquêtes sans lendemain. Lora Mae veut quitter son « trou à rats » et mordre la vie bourgeoise à pleines dents. Elle donne tour à tour à Porter juste ce qu'il faut pour le piéger, l'amener à un mariage qu'il ne désire pas. Elle non plus dans le fond, partant du principe qu'elle extorque une situation avantageuse par l'entremise de ses charmes. Mauvais départ, puisque le couple n'aura de cesse de se détester et de détruire son union par une relation souvent orageuse. Lora Mae pense qu'elle a épousé un homme qui ne la désirait pas vraiment.
Porter est persuadé d'avoir épousé une femme qui n'en voulait qu'à son argent. En cela réside l'erreur qui eut pu être fatale au couple. Nous apprendrons dans les dernières minutes du film que Porter était bien celui des trois maris qui avait décidé de fuir en compagnie de la fameuse Addie. Poussé par le remord et surtout l'amour qu'il ressent en réalité pour Lora Mae, il restera, obligé d'avouer sa furtive évasion d'un instant afin d'empêcher Deborah de sombrer dans la douleur, cette dernière étant persuadée qu'elle était la femme abandonnée. Par ce geste maladroit, Porter relance véritablement le sens de l'existence des trois couples.
| |
|
|
|
|