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©-DR- CHAINES CONJUGALES de Joseph.L. Mankiewicz (1949) p5
04/07/2016 17:12
debout : l'immense actrice Thelma Ritter : Sadie Dugan
DVD Classik
Part2
Réalisateur relativement peu prolifique dans le Hollywood d'une époque où la moyenne d'un cinéaste était environ de deux à quatre films par an (du moins jusque dans les années 1940 et 1950), Mankiewicz a pourtant signé des films dans bien des registres, tutoyant ainsi régulièrement le cinéma de genre (Film Noir, espionnage, comédie, péplum, western...) et inscrivant son nom au générique de réussites demeurées dans la mémoire collective du cinéma mondial. Il fut cependant qualitativement prolifique, avec à peine une poignée de films critiquables d'un point de vue artistique.
De L'Aventure de Mme Muir à Eve, de On murmure dans la ville à Cléopâtre, de L'Affaire Cicéron au Reptile, et cela jusqu'à son dernier opus, le fascinant Limier, Mankiewicz a marqué trois décennies par sa sensibilité et sa prise en compte des problèmes de société, son intérêt pour la théâtre, la psychiatrie et les personnages en souffrance traumatique. On pourrait ajouter à tout cela la part évidente que constitue le féminisme assumé de certains de ses films. Le féminisme, ou tout au moins la question de la place de la femme, reste une question épineuse au sein du cinéma, par la subtilité ainsi que la liberté d'esprit et de ton que cela exige.
Malgré les mentions souvent accolées à bien des films, peu sont en réalité féministes au sens libéral du terme. A savoir un féminisme qui ne se constitue pas uniquement en regard de la question masculine, comme cherchant sa place vis-à-vis d'un modèle phallocrate dominant existant depuis toujours, mais bien comme une entité unique et dont la personnalité profonde doit se parer de réflexions qui vont bien au-delà d'une simple question de société. Une question qui, à l'heure actuelle, prend souvent la saveur de débats médiocres qui n'embrassent évidemment pas la question féminine dans son ampleur saisissante.
La question de la femme, ce n'est pas juste la remise en cause d'un modèle de féminité, mais bien un engagement pour que la femme, positionnée en société, épouse son chemin propre. Il ne s'agit pas de niveler les sexualités, mais bien d'en faire ressortir les différences et ressemblances pour mieux leur donner l'égalité qu'elles méritent. Difficile cheminement, et qui n'a pas fini de faire tomber les masques de la tendance actuelle hypocrite qui veut, sous le prétexte fallacieux d'égaliser les salaires et d'opter pour la parité au sein des mouvements politiques, nier en réalité ce qui compose fondamentalement le véritable combat féministe aujourd'hui : son équilibre, et le droit aux exactes mêmes choses pour tous, dans les lois mais aussi dans les regards. La question du respect, tout simplement.
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©-DR- CHAINES CONJUGALES de Joseph.L. Mankiewicz (1949) p6
04/07/2016 17:23
(DVD Classik suite)
Peu de cinéastes ont su en capter l'importance des enjeux, y compris et surtout à Hollywood. Wellman, Minnelli, Cukor ou bien Ford (il suffit de se remémorer le sublime Seven Women,(il n'y a bien qu'Anne Bancroft à être sublime ! mais pas seulement) ont su capter la figure féminine avec conviction et clarté, sans jamais céder au désir de masculinisation de la femme, chose qui reviendrait à nier son combat féministe. Si le point de vue est néanmoins rarement celui d'une sensibilité féminine, il convient d'observer que le statut de la femme en société est à l'époque régulièrement soulevé par des films fascinants.
Chaines conjugales (ou plutôt A Letter to Three Wives, titre original plus romantique et séduisant) fait partie de ces films concentrés sur la question de la femme en société. Mieux, en cette question réside la raison d'être majeure du film qui, sous sa nature de comédie sentimentale aux dialogues soignés, attaque le problème de front et défriche un terrain alors peu visité, et cela même encore aujourd'hui. Quand Mankiewicz réalise Chaines conjugales, il a derrière lui une longue expérience de scénariste et de producteur, mais aussi quelques films en tant que metteur en scène.
Le Château du dragon et Quelque part dans la nuit ont prouvé son savoir-faire et la qualité générale d'exécution de son travail (atmosphère, soin du cadre, narration...), en partie grâce à son approche intellectuelle et sophistiquée qui offre un conglomérat de touches délicates original et distingué dans un Hollywood duquel émerge déjà tant de sensibilités différentes. L'Aventure de Mme Muir va intensifier cette approche en représentant la quintessence du talent de son auteur, sorte de chef-d'œuvre d'émotion et de beauté plastique où paradent les effluves d'une structure unique en son genre.
Mankiewicz a trouvé en la 20th Century Fox le studio qui canalise parfaitement ses idées, parachevant ainsi ses œuvres de cette douceur et de ce questionnement existentialiste qui en font l'identité aléatoire mais évidente depuis sa création en 1935, sous l'égide de Darryl F. Zanuck.
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©-DR- CHAINES CONJUGALES de Joseph.L. Mankiewicz (1949) p7
05/07/2016 04:48
Linda Darnell : Lora Mae & Paul Douglas : Porter Hollingsway
DVD Classik
Chaines conjugales occupe une place tout à fait particulière au sein de la carrière de Mankiewicz, et cela en dépit du fait que sa filmographie varie de fait constamment. Structurellement tout d'abord, le film embrasse une structure à la fois linéaire et faite de retours en arrières issus de points de vue à la première personne. Trois femmes, trois amies, se réunissent afin d'encadrer une sortie dominicale avec des enfants, durant toute une journée. Bateau, pique-nique, jeux en plein air... Et nos trois femmes, l'esprit préoccupé, plus encore qu'elles ne semblent l'avouer. Le matin même, elles ont reçu une lettre adressée aux trois à la fois.
L'auteure de la lettre est la quatrième femme du récit, à savoir la narratrice du film, et en outre celle qui avoue être partie avec le mari de l'une des trois autres. Il s'agira de savoir lequel des trois maris a succombé au charme de cette femme dont on apprendra, sans pourtant jamais la voir à l'écran, toutes les trop nombreuses qualités. Addie va donc hanter pour la journée les trois victimes potentielles que sont Deborah, Lora et Rita. Nous allons alors découvrir ce qui a constitué le sel de leur existence depuis quelques années, leurs défauts et leurs espérances, leur caractère et leur intimité.
L'inquiétude d'avoir perdu leur mari les poussera à s'interroger avec honnêteté, faisant du même coup tomber le masque de leur conscience et les obligeant à une analyse précise d'évènements potentiellement déclencheurs. Jamais nous ne verrons Addie, à peine la croiserons-nous au détour d'une soirée, par défaut, toujours au loin, hors champs et sans jamais la décrire autrement que par d'intrigantes qualités humaines portées sur un art de la séduction élevé au pinacle. Addie séduit les hommes et s'illustre comme étant la femme parfaite par excellence, forcément mise à distance par les héroïnes du récit, moins à l'aise et en crise de statut. Addie est la femme au sens élégiaque du terme, pleine de grâce, de gentillesse, d'affection et d'intelligence.
Du moins nous est-elle présentée de la sorte. Elle est objet d'attirance auprès de toutes les strates masculines, quelle que soit la condition sociale évoquée, ainsi qu'un véritable fantasme vivant qui n'offre a priori que rêve et glamour. Mankiewicz avouait avoir réécrit Chaines conjugales dans l'optique de passer au vitriol la société américaine bien-pensante, sa stature sociale et de façon générale le couple et ses dérives sectaires. Il serait pourtant dommage de réduire le film à cela, car ses velléités sont moins négatives qu'elles n'y paraissent au premier abord et sa lecture bien plus encline à célébrer l'amour que le cynisme.
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©-DR- CHAINES CONJUGALES de Joseph.L. Mankiewicz (1949) p8
05/07/2016 04:55
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©-DR- CHAINES CONJUGALES de Joseph.L. Mankiewicz (1949) p9
05/07/2016 04:58
DVD Classik
Trois femmes en crise de confiance, voilà ce qu'il convient déjà de retenir. On peut lire Chaines conjugales comme un observatoire de la société américaine et de son édification sociale comme oppression à la liberté d'action de la femme. La figure féminine doit malheureusement encourir les foudres de l'implacable morale en place, quoiqu'elle fasse, quoi qu'elle puisse tenter de différent.
Ainsi, par l'intermédiaire de flashbacks établissant des connections avec le présent et les nombreux liens qui rapprochent ces trois couples d'amis, chaque femme fera la lumière sur son incapacité à gérer son statut au sein de son existence. Plus qu'une lecture du couple, en l'occurrence intelligente et pleine de tendresse, Chaines conjugales met chaque personnage féminin dans une position intenable et encore extrêmement réaliste aujourd'hui : la difficulté de choisir entre l'amour et l'amour propre.
Son « moi » contre l'hydre à deux têtes. Ces femmes doivent choisir, échouant à trouver un équilibre. Équilibre qu'elles parviendront néanmoins à trouver, tout au moins symboliquement, dans les dernières minutes du film. Doit-on aimer l'autre et s'investir dans son couple au point de tout lui donner ? Ou bien doit-on penser à sa propre existence, affirmer sa survie dans une société qui n'épargne ni les esprits libres ni les originaux ? Une société carrée, élitiste quant à ses mœurs, et principalement hypocrite.
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