Linda Darnell : Lora Mae & Paul Douglas : Porter Hollingsway
DVD Classik
Chaines conjugales occupe une place tout à fait particulière au sein de la carrière de Mankiewicz, et cela en dépit du fait que sa filmographie varie de fait constamment. Structurellement tout d'abord, le film embrasse une structure à la fois linéaire et faite de retours en arrières issus de points de vue à la première personne. Trois femmes, trois amies, se réunissent afin d'encadrer une sortie dominicale avec des enfants, durant toute une journée. Bateau, pique-nique, jeux en plein air... Et nos trois femmes, l'esprit préoccupé, plus encore qu'elles ne semblent l'avouer. Le matin même, elles ont reçu une lettre adressée aux trois à la fois.
L'auteure de la lettre est la quatrième femme du récit, à savoir la narratrice du film, et en outre celle qui avoue être partie avec le mari de l'une des trois autres. Il s'agira de savoir lequel des trois maris a succombé au charme de cette femme dont on apprendra, sans pourtant jamais la voir à l'écran, toutes les trop nombreuses qualités. Addie va donc hanter pour la journée les trois victimes potentielles que sont Deborah, Lora et Rita. Nous allons alors découvrir ce qui a constitué le sel de leur existence depuis quelques années, leurs défauts et leurs espérances, leur caractère et leur intimité.
L'inquiétude d'avoir perdu leur mari les poussera à s'interroger avec honnêteté, faisant du même coup tomber le masque de leur conscience et les obligeant à une analyse précise d'évènements potentiellement déclencheurs. Jamais nous ne verrons Addie, à peine la croiserons-nous au détour d'une soirée, par défaut, toujours au loin, hors champs et sans jamais la décrire autrement que par d'intrigantes qualités humaines portées sur un art de la séduction élevé au pinacle. Addie séduit les hommes et s'illustre comme étant la femme parfaite par excellence, forcément mise à distance par les héroïnes du récit, moins à l'aise et en crise de statut. Addie est la femme au sens élégiaque du terme, pleine de grâce, de gentillesse, d'affection et d'intelligence.
Du moins nous est-elle présentée de la sorte. Elle est objet d'attirance auprès de toutes les strates masculines, quelle que soit la condition sociale évoquée, ainsi qu'un véritable fantasme vivant qui n'offre a priori que rêve et glamour. Mankiewicz avouait avoir réécrit Chaines conjugales dans l'optique de passer au vitriol la société américaine bien-pensante, sa stature sociale et de façon générale le couple et ses dérives sectaires. Il serait pourtant dommage de réduire le film à cela, car ses velléités sont moins négatives qu'elles n'y paraissent au premier abord et sa lecture bien plus encline à célébrer l'amour que le cynisme.