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©-DR-RISO AMARO de G.de Santis (1949) p22
03/05/2014 10:25
III - Le néo-réalisme : des images qui laissent sans réaction
Au lieu de représenter un réel déjà déchiffré, le néo-réalisme visait ainsi un réel à déchiffrer, toujours ambigu ; c'est pourquoi le plan-séquence tendait à remplacer le montage des représentations. Le néo-réalisme inventait donc un nouveau type d'image que Bazin proposait d'appeler l'"image-fait".
* Cette thèse de Bazin était infiniment plus riche que celle qu'il combattait, et montrait que le néo-réalisme ne se limitait pas au contenu de ses premières manifestations Mais les deux thèses avaient en commun de poser le problème au niveau de la réalité : le néo-réalisme produisait un "plus de réalité", formel ou matériel. Deleuze ne croit pas que le problème se pose au niveau du réel, forme ou contenu, mais plutôt au niveau du mental, en terme de pensée.La nouveauté de ce type de plan- séquence réside plutôt dans le fait que cette image empêche la perception de se prolonger en action pour la mettre en rapport avec la pensée.
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Quand Zavattini définit le néo-réalisme comme un art de la rencontre, rencontres fragmentaires, éphémères, hachées,ratées,que veut-il dire? C'est vrai des rencontres de Païsa de Rossellini ou du Voleur de bicyclette de De Sica. Et dans Umberto D, De Sica construit la séquence célèbre que Bazin citait en exemple :la jeune bonne entrant dans la cuisine le matin faisant une série de gestes machinaux et las, nettoyant un peu, chassant les fourmis d'un jet d'eau, prenant le moulin à café, fermant la porte du de la pointe du pied tendu. Et ses yeux croisent son ventre de femme enceinte, c'est comme si naissait toute la misère du monde.
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Voilà que, dans une situation ordinaire ou quotidienne, au cours d'une série de gestes insignifiants, mais obéissant d'autant plus à des schémas sensori-moteurs simples, ce qui a surgit tout d'un coup, c'est une situation optique pure pour laquelle la petite bonne n'a pas de réponse ou de réaction. Les yeux, le ventre, c'est cela une rencontre. Bien sûr, les rencontres peuvent prendre des formes très différentes atteindre à l'exceptionnel, mais elles gardent la même formule. Soit la grande tétralogie de Rossellini, qui, loin de marquer un abandon du néo-réalisme, le porte au contraire à sa perfection.
Allemagne année zéro présente un enfant qui voit un pays devenu étranger et qui meurt de ce qu'il voit Stromboli met en scène une étrangère qui va avoir une révélation sur l'île d'autant plus profonde qu'elle ne dispose d'aucune réaction pour atténuer ou compenser la violence de ce qu'elle voit, l'intensité et l'énormité de la pêche au thon ("c'était horrible..."), la puissance du volcan ("je suis finie, j'ai peur, quel mystère, quelle beauté, mon Dieu"). Europe 51 montre une bourgeoise qui, à partir de la mort de son enfant, traverse des espaces quelconques et fait l'expérience des grands ensembles, du bidonville et de l'usine ("j'ai cru voir des condamnés").
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Ses regards abandonnent la fonction pratique d'une maîtresse de maison qui rangerait les choses et les êtres, pour passer par tous les états d'une vision intérieure, affliction, compassion, amour, bonheur, acceptation jusque dans l'hôpital psychiatrique où on l'enferme à l'issue d'un nouveau procès de Jeanne d'Arc : elle voit, elle a appris à voir. Voyage en Italie accompagne une touriste atteinte en plein cœur par le simple déroulement d'images ou de clichés visuels dans lesquels elle découvre quelque chose d'insupportable. c'est un cinéma de voyant, non plus d'action.
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©-DR-RISO AMARO de G.de Santis (1949) p23
03/05/2014 10:48
Vttorio Gasman
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Ce qui définit le néo-réalisme, c'est la montée de situations purement optiques (et sonores, bien que le son synchrone ait manqué aux débuts du néo-réalisme), qui, se distinguent essentiellement des situations sensori-motrices de l'image action de l'ancien réalisme. C'est peut-être aussi important que la conquête d'un espacepurement optique dans la peinture avec l'impressionnisme. On objecte que le spectateur s'est toujours trouvé devant des descriptions, devant des images optiques et sonores et rien d'autre.
Mais ce n'est pas la question. Car les personnages, eux, réagissaient aux situations, mêmes quand l'un d'eux se trouvait réduit à l'impuissance,c'était ligoté et bâillonné, en vertu des accidents de l'action. Ce que le spectateur percevait, c'était donc une image sensori-motrice à laquelle il participait plus ou moins, par identification avec les personnages. Hitchcock avait inauguré le renversement de ce point de vue en incluant le spectateur dans le film. Mais c'est maintenait que l'identification se renverse effectivement : le personnage est devenu une sorte de spectateur.
Il a beau bouger, courir, s'agiter, la situation dans laquelle il est déborde de toutes parts ses capacités motrices, et lui fait voir ou entendre ce qui n'est plus justiciable en droit d'une réponse ou d'une action. Il enregistre plus qu'il ne réagit. Il est livré à une vision, poursuivi par elle ou la poursuivant, plutôt qu'engagé dans une action-Ossessione (1942) de Visconti (distribué en France en 1952 seulement) passe à juste titre pour le précurseur du néo-réalisme (le terme de néoréalisme aurait d'ailleurs été lancé par le monteur du film) ; et ce qui frappe d'abord le spectateur, c'est la manière dont l'héroïne vêtue de noir est possédée par une sensualité presque hallucinatoire.
Elle est plus proche visionnaire, d'une somnambule que d'une séductrice ou d'une amoureuse (de même plus tard la comtesse de Senso). La situation ne se prolonge pas directement en action, elle est d'abord optique et sonore, investie par les sens avant que l'action ne se forme en elle et en utilise ou en affronte les éléments. Ainsi l'arrivée du héros de Ossessione qui prend une sorte de possession visuelle de l'auberge ou bien, dans Rocco et ses frères, l'arrivée de la famille qui, de tous ses yeux et de toutes ses oreilles, tente d'assimiler la gare immense et la ville inconnue. ce sera une constante de l'œuvre de Visconti, cet inventaire du milieu, des objets, meubles, ustensiles.
Tout reste réel dans le néo-réalisme (qu'il y ait décor ou extérieurs) mais entre la réalité du milieu et celle de l'action, ce n'est plus un prolongement moteur qui s'établit, c'est plutôt un rapport onirique. On dirait que l'action flotte dans la situation plus qu'elle ne l'achève ou la resserre. C'est la source de l'esthétisme visionnaire de Visconti. Et La terre tremble confirme singulièrement ces nouvelles données. Certes la situation des pêcheurs, la lutte qu'ils engagent, la naissance d'une conscience de classe sont exposés dans ce premier épisode, le seul que réalisa Visconti.
Mais justement cette "conscience communiste" embryonnaire y dépend moins d'une lute avec la nature et entre les hommes que d'une grande vision de l'homme et de la nature, de leur unité sensible et sensuelle, d'où les "riches" sont exclus et qui constitue l'espoir de la révolution, au-delà des échecs de l'action flottante : un romantisme marxiste
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©-DR-RISO AMARO de G.de Santis (1949) p24
03/05/2014 11:05
Chez Antonioni, dès sa première grande œuvre Chronique d'un amour, l'enquête au lieu de procéder par flash-back, transforme les actions en descriptions optiques et sonores, tandis que le récit lui-même se transforme en actions désarticulées dans le temps (l'épisode de la bonne qui raconte en refaisant ses gestes passés ou bien la scène célèbre des ascenseurs)
Et l'art d'Antonioni ne cessera de se développer dans deux directions, une étonnante exploitation des temps morts de la banalité quotidienne ; puis à partir de L'éclipse un traitement des situations limites qui les pousse jusqu'à des paysages déshumanisés, des espaces vidés dont on dirait qu'ils ont absorbé les personnages et les actions, pour n'en garder qu'une description géophysique, un inventaire abstrait.
Chez Fellini, ce n'est pas seulement le spectacle qui tend à déborder le réel, c'est le quotidien qui ne cesse de s'organiser en spectacle ambulant, et les enchaînements sensori-moteurs qui font place à une succession de variétés. On a souligné le rôle de l'enfant dans le néoréalisme, c'est dans le monde adulte, que l'enfant est affecté d'une certaine impuissance motrice, mais qui le rend d'autant plus apte à voir et à entendre. En 1961, les tenants du néoréalisme semblent en perte de vitesse. Viva l'Italia de Rossellini ne convainc pas,pas plus qu'en 1962 Les séquestrés d'Altona de De Sica .
La réalité nouvelle liée à l'essor économique et à la naissance d'une société du spectacle et de la consommation, appelle d'autres témoignages, qui tendent à privilégier, au détriment des problématiques socio-politiques engagées, des considérations plus étroitement existentielles sur "l'aliénation". Les marxistes continueront pourtant de voir dans Elio Pétri et surtout son élève Francesco Rosi avec Main basse sur la ville et Salvatore Giuliano puis Olmi les continuateurs du néoréalisme alors que les spiritualistes fairont de Pasolini leur champion, clui-ci admettant seulement être d'une deuxième vague du néo-réalisme, très différente de la première dans ses moyens.
Courant esthétisant : La mise en scène peut révéler la transcendance des êtres. Le néoréalisme c'est avant tout prendre l'homme quotidien et contemporain pour objet de préoccupation. Sur la question de l'origine Hovald va au-delà de l'époque mussolinienne. Il y a une tradition néo-réaliste en Italie, une tradition littéraire : le vérisme de Giovanni Verga (1840-1922). On avait trop minoré l'influence extra cinématographique, le théâtre et l'opéra donnent la place au peuple
Précurseurs aux/des italiens les Russes, Vertov et son ciné-oeil,
le réalisme français (Carné, Renoir, Duvivier).
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Précurseurs
Toni (1935) de Renoir, Les hommes du dimanche (Siodmak)
Ossessione (1942) Visconti et Les enfants nous regardent (1942) De Sica. *
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* Bibliographie
* Gilles Deleuze : L'image-temps (Chapitre 1 : au-delà de l'image-mouvement), 1985 André Bazin : Qu'est-ce que le cinéma ? (ensemble des articles sur le néo-réalisme réunis sous le titre "Une esthétique de la réalité" dont celui de 1957 et celui où il
nomme l'image fait, p. 128) , édition Cerf 7ème art, 1962, régulièrement réédité Carlo Lizzani : Le cinéma italien, 1955. Raymond Borde : Le néo-réalisme italien, une expérience de cinéma social,
éditions la Cinémathèque suisse, 1960 René Prédal : Le néo-réalisme italien, CinémAction n°70, 1993 Gaston Haustrate : Les grandes écoles esthétiques, CinémAction n°55, avril 1990 Patrice Hovald : Le néo-réalisme italien et ses créateurs, Cerf 7ème art, 1959
(s'inscrit dans la politique des auteurs qui prédomine en France ;
un chapitre par cinéaste.
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©-DR-RISO AMARO de G.de Santis (1949) p25
03/05/2014 11:25
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©-DR-RISO AMARO de G.de Santis (1949) p26
03/05/2014 11:29
La critique d'Olivier Bitoun ...Giuseppe De Santis prend pour cadre les mondines, faisant de « Riz Amer » un document précieux sur le quotidien de ces ouvrières agricoles s'épuisant à la tâche dans les rizières de la plaine du Pô. Depuis un demi millénaire, ce sont des femmes venues de toute l'Italie qui viennent cultiver le riz sur les berges du fleuve. Le petit salaire qu'elles ramènent (40.000 lires et 40 kilos de riz) leur permet d'aider leurs familles voire d'économiser une dot pour un possible mariage. C'est que ces femmes, nous dit De Santis, vivent dans des rêves formatés par les romans à l'eau de rose, les chansons romantiques et les mélodrames hollywoodiens.
C'est ainsi qu'il décrit Silvana, femme inconsciente qui s'invente tellement de possibles que sa perception de la réalité s'en trouve faussée. Elle déclenche une histoire policière à cause de ses fantasmes, transformant de ce fait un récit social en suspens criminel. De Santis n'a que peu d'égards pour Silvana, lui reprochant ses illusions qui l'empêchent de combattre au côté des autres pour une vie plus digne. Il montre aussi comment elle se délecte de son statut d'héroïne auprès des autres filles, de son anatomie généreuse qu'elle met constamment ?(,...en avant?)s'imaginant en starlette (le cinéaste jouant ici habilement avec les propres sentiments de son actrice).
On sent De Santis bien plus à l'aise dans la description de la vie des mondines que dans le registre romantique ou policier. Lorsqu'il évoque le sort des ouvrières clandestines forcées de travailler deux fois plus que les officielles, lorsqu'il dépeint le sort déjà terrible de ces dernières, on sent la violence du cinéaste, son dégoût du système, l'espoir d'une révolte qu'il appelle de tous ses vœux. Le film est par moments lyrique, porté par d'amples mouvements de caméra sur les travailleuses, par la façon dont elle s'élève au- dessus d'elles et glorifie leur gestes et leurs chants.
De Santis sous expose son film afin de faire ressortir le grain de la pellicule, manière pour lui de s'écarter des canons habituels du cinéma populaire, trop lisse et clinquant à ses yeux. Il utilise de vraies mondines comme actrices et figurantes, tournant nombre de scènes du film après leurs journées de travail. Tous ces éléments conjugués donnent sa force à« Riz Amer ». Mais il y a aussi une certaine forme d'ironie à l'œuvre, lorsque par exemple De Santis ouvre son film sur une séquence dans la plus belle veine néo-réaliste, une voix off évoquant lyriquement le sort des mondines : cette ouverture est un faux-semblant, le discours emporté étant le fait d'un journaliste signant un papier pour la télévision.
Cette ironie, on la retrouve ailleurs dans le film, même si elle est parfois moins évidente. Lorsqu'il s'agit pour De Santis de raconter une histoire d'amour ou de mettre en scène son récit de voleurs et de policiers, le film paraît bien figé et conventionnel. De Santis entend certainement se moquer des fumati et autres formes populaires de divertissement qui appuient artificiellement sur les sentiments et la violence. Mais sa position demeure ambigüe. Très critique envers les divertissements de masses qui sont pour lui une manière de tenir le peuple, il utilise pourtant, et de brillante manière, l'érotisme et la sensualité de ses personnages féminins, s'amusant dès le début à établir un rapport entre ces femmes qui malaxent la terre, leurs corps, et les collines bordant le Pô.
Silvana Mangano, dix-neuf ans au moment du tournage, Miss Rome 1946, fera d'ailleurs tourner les têtes et deviendra l'une des grandes figures érotiques du cinéma d'après guerre. On sent que malgré le discours politique, De Santis reste attaché à une forme de cinéma popularisé par l'industrie hollywoodienne. C'est dans cet entre-deux que navigue « Riz Amer » et ce sont les courants contraires qui innervent le film qui le rendent aujourd'hui encore profondément attachant.
Olivier Bitoun
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