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© DR - Jim Morrison -1943/1971 (p8)
13/11/2012 01:16
Après une tournée en Europe au cours du mois de septembre, Morrison, en compagnie de Pamela Courson, prend quelques jours de repos à Londres. Ils y sont rejoints par Michael McClure. Ce dernier, après avoir lu les poèmes de Morrison, incite le chanteur à les publier. Flatté par les encouragements de son aîné, Morrison se décide à envoyer à l'éditeur, fin octobre, les notes sur le cinéma rédigées en 1964 et compilées sous le titre The Lords. Notes On The Vision et un long travail en vers libres intitulé The New Creatures.
Ce même mois, il visionne les ébauches du film d'un concert donné quelques mois plus tôt. Ce document le stupéfait. Il déclare : « voir une série d'événements que je croyais contrôler... Je me suis d'un seul coup rendu compte (...) que j'étais le jouet de nombreuses forces dont je n'avais qu'une vague notion »8. Par la suite, il devient de plus en plus prudent dans ses « manipulations » du public.
Le 13 décembre 1968, lors d'un concert à Los Angeles, il parvient à calmer une foule houleuse en quelques phrases seulement : « Nous sommes venus pour jouer de la musique, mais vous en voulez plus, pas vrai ? Vous voulez plus que de la musique, hein ? Eh bien, allez vous faire voir : nous, nous ne sommes là que pour jouer de la musique. » Après quoi le groupe interpréta une seule chanson, Celebration of The Lizard.
Cet unique morceau dura trois quarts d'heure. Il n'y eut aucun incident ; c'est à peine s'il y eut des applaudissements. La foule se dispersa en silence, matée.
Le « poète maudit » (1969-1971)
Morrison, l'anti-hippie ?
Deux événements marquent le début de l'année 1969. D'une part, le « délai de six mois » arraché par Ray Manzarek après l'enregistrement de Waiting For The Sun touche à sa fin, et le rapprochement entre Morrison et Michael McClure mais aussi avec le Living Theatre, ainsi que son intérêt croissant pour la production cinématographique, paraît signaler la volonté de Jim de quitter le star-system.
D'autre part, il rencontre, à l'occasion d'une interview en janvier 1969, la journaliste du magazine Jazz&Pop Patricia Kennealy, avec qui il vivra une relation amoureuse très intense, allant jusqu'à « l'épouser » en 1970 au cours d'une cérémonie wicca. Lors de cette interview, Jim déclare : « j'aime la musique, j'aime bien chanter sur scène, mais certaines choses que j'ai à dire ne peuvent être mises en musique et seraient communiquées au mieux par le biais d'un livre ».
L'enregistrement d'un quatrième album, The Soft Parade, retarde cependant le départ de Morrison. Son désintérêt pour The Doors paraît évident : il n'écrit que quatre des neuf chansons de l'album, passe le minimum de temps au studio et se conduit systématiquement en rustre. Une violente querelle éclate lorsqu'il découvre que les autres membres du groupe, sans l'en avertir, ont vendu la mélodie de Light My Fire, leur premier disque d'or, au constructeur automobile Buick.
La sensation de trahison que Jim a dû connaître à cette occasion a pu accentuer sa désillusion : s'il avait cru possible de modifier les valeurs américaines via le rock, il découvrait que ses proches les plus intimes cédaient aux puissances de l'argent. À ce stade, il faut poser la question du rattachement de Morrison au mouvement hippie. Il a embrassé explicitement certaines « grandes causes » du « Flower Power » comme la libération sexuelle et le pacifisme contre la guerre du Viêt Nam.
Il y a même contribué activement, par ses chansons et sa conduite. Mais, lecteur assidu de Nietzsche, admirateur de Jérôme Bosch, fan de Kerouac fasciné par Dean Moriarty au point d'imiter son ricanement sadique, pouvait-il adhérer sans réserve au « peace and love », à l'idéologie de « l'harmonie universelle » et à la « spiritualité » New Age de la méditation transcendantale, de la conscience cosmique et de l'Ère du Verseau ? Son pessimisme, son goût pour le cynisme, le second degré et les faux-semblants, sa fascination pour la criminalité et le chaos, pouvaient-ils se conjuguer avec l'hédonisme naïf des hippies ?
Ray Manzarek et John Densmore ont chacun, à leur manière, avoué que Morrison plaisantait volontiers, à l'occasion de manière cruelle, sur l'exotisme un peu factice de la philosophie hippie. L'organiste et le batteur, tous deux adeptes de la méditation transcendantale, présentèrent Morrison à Maharishi Mahesh Yogi.
Morrison composa ensuite, « en l'honneur » du gourou, la chanson Take It As It Comes (figurant sur le premier album) (« Take it easy, babe/Take it as it comes/Don't move too fast/If you want your love to last/Oh, you've been movin' much too fast » — « Détends-toi, chérie/Prend les choses comme elles viennent/Ne t'emballe pas/Si tu veux que ton amour dure/Oh, tu as été beaucoup trop vite »).
John Densmore, qui s'affichait « flower child », se souvient également des moqueries ambiguës de Morrison à son égard : par exemple, il jetait, en plein concert, des marguerites sur la caisse claire de Densmore : « il riait comme un fou, parce qu'il savait que je ne pouvais pas m'arrêter, à moins d'interrompre le concert, alors mes baguettes faisaient éclater les pétales. ».
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© DR - Jim Morrison -1943/1971 (p9)
13/11/2012 01:34
Le concert de Miami : un « fiasco » prémédité ?
Cette perspective éclaire le sens du célèbre concert des Doors donné à Miami le 1er mars 1969. Pour la première fois, le groupe partait en tournée « longue » : 19 dates étaient prévues dans des villes comme Cleveland, Saint Louis, Providence ou encore Dallas.
Pourtant, le premier concert vire à la catastrophe. Sugerman et Hopkins, entre autres biographes de Morrison, pointent du doigt l'incurie des organisateurs, qui avaient vendu beaucoup plus de tickets qu'il n'y avait de places, si bien que The Doors se présentèrent devant une salle bondée, surchauffée et déjà passablement nerveuse.
Cette tension s'accroît encore avec le retard de Morrison : éméché, il a raté son avion. Pendant le vol, il continue à boire. Lorsqu'il parvient enfin à la salle de concert, c'est un frontman ivre mort qu'on doit convaincre, contre son gré, d'entrer en scène. Incapable de chanter, Morrison interrompt les chansons, pour digresser, invectiver la foule, l'insulter.
Au cours de la chanson Five To One, le discours de Morrison prend une tournure explicitement anarchiste et passablement agressive à l'égard des fans : « You're all a bunch of fuckin' idiots ! Lettin' people tell you what you're gonna do ! Lettin' people push you around ! How long d'ya think it's gonna last ? How long are you gonna let it go on ? [...] How long ? Maybe you like it, maybe you like being pushed around... Maybe you love it, maybe you love gettin' you face stuck in the shit... [...] You love it, don't ya ? You love it. You're all a bunch of slaves ! »
(« Vous êtes tous une bande de putains d'idiots ! À laisser les gens vous dire quoi faire ! À laisser les gens vous bousculer ! Combien de temps ça va encore durer, à votre avis ? Combien de temps est-ce que vous allez laisser continuer ça ? [...] Combien de temps ? Peut-être que vous aimez ça, peut-être que vous aimez qu'on vous bouscule... Peut-être que vous adorez ça, peut-être que vous adorez qu'on vous mette la tête dans la merde... [...] Vous adorez ça, n'est-ce pas ? Vous adorez ça. Vous êtes tous une bande d'esclaves ! »)
Mais de toute évidence, cette diatribe ne suffit pas : le public applaudit, pousse des cris de joie à chaque insulte. Morrison pousse encore l'outrage : taquinant la salle, il annonce qu'il va montrer son pénis. L'a-t-il effectivement fait ? Un doute subsiste, même pour Morrison qui avouera plus tard au juge avoir été trop ivre pour se souvenir ; quant au principal témoin de l'accusation, Bob Jennings, il s'agit du fils d'un policier de Miami, ce qui jette un doute sur son impartialité, d'autant que plusieurs autres accusateurs se rétracteront avant ou pendant les audiences.
En tout état de cause, le mal est fait : le concert finit dans un désordre incontrôlable et, le 5 mars, un mandat d'arrêt est délivré contre Morrison sous quatre chefs d'accusation : « comportement indécent », « exhibition indécente », « outrage aux bonnes mœurs » et « ivresse publique ». Aussitôt, tous les concerts de la tournée sont annulés et The Doors devront attendre juin pour pouvoir se présenter à nouveau devant le public.
Les journaux, à l'époque, titrent : « Morrison dérape ». Telle est aussi la version de l'incident retenue par les principaux biographes de Morrison (notamment Hopkins et Sugerman, mais aussi John Densmore) et il paraît délicat de contester ces témoignages de première main. Pourtant, la question se pose : Morrison n'a-t-il pas « dérapé » au moment qui lui convenait ? N'a-t-il pas « dérapé » d'une manière très sincère, comme ses insultes à la foule semblent le suggérer ?
Le rejet du mouvement hippie qu'il semble exprimer dans son comportement et dans ses textes (y compris des chansons pour The Doors comme The Soft Parade, voir ci-après) n'indique-t-il pas que Morrison a pu vouloir faire exploser The Doors en plein vol, au tout début d'une tournée aussi longue que prometteuse, en mars 1969, c'est-à-dire trois mois après la fin du « délai de grâce » qu'il avait accordé après l'enregistrement de Waiting For The Sun ?
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© DR - THE DOORS
13/11/2012 03:12
Une saturation nerveuse
Si Morrison a effectivement voulu saborder The Doors, il a échoué. Sans doute, le fiasco de Miami a-t-il refroidi les organisateurs de concerts qui annulent de facto la tournée de The Doors ; mais dans un second temps, Morrison reçoit le soutien de son entourage et de nombreux fans, qui voient dans le procès intenté au chanteur une preuve de la persécution perpétrée par l'institution puritaine contre le mouvement hippie et les opposants à la guerre du Viêt Nam.
Dès juin, seulement trois mois après Miami, The Doors jouent à nouveau en public. L'album The Soft Parade sort en juillet et devient disque d'or. En septembre, le groupe entame des répétitions pour un cinquième album.
Jim semble donc se résigner à « continuer » avec The Doors, bien que la poésie soit à ce moment sa préoccupation principale. En avril, il a reçu de la maison d'édition Western Lithographers les exemplaires de The Lords et de The New Creatures, publiés à compte d'auteur sous le nom « James Douglas Morrison ».
Ce même mois, interviewé sur la chaîne de télévision PBS par Richard Goldstein et Patricia Kennealy, Morrison refuse de parler de The Doors et se contente de lire des extraits de The New Creatures. Le journal Rolling Stone publie, dans son numéro d'avril 1969, le texte intégral d'un long poème intitulé An American Prayer, et précise que les droits d'auteur sont attribués à James Douglas Morrison.
Il convient d'insister sur ce point : bien qu'utilisant le prénom « Jim » comme nom de scène avec The Doors, Morrison a toujours insisté pour que son travail poétique soit publié sous son patronyme complet. Il souhaitait, de toute évidence, sanctuariser son travail poétique par rapport à son image de star pop ; mais ce souci de « catégoriser » ses activités va bien au-delà du domaine professionnel.
Morrison appartenait simultanément à plusieurs « cercles sociaux » différents qu'il s'efforçait de ne jamais mélanger. Ainsi Michael McClure ne fit-il jamais partie de la petite « cour » qui gravitait autour de The Doors.
Il en alla de même pour Patricia Kennealy, que Morrison avait pourtant « épousée » au cours d'une cérémonie wicca mais non légalement. Du reste, Jim continuait à entretenir des relations suivies avec plusieurs anciens élèves de la faculté de cinéma d'UCLA sans jamais les présenter à ses autres amis.
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© DR - THE DOORS p2
13/11/2012 09:08
Poster de Bob Schnepf ©
Family Dog © Chet Helms © Classic Posters © Bill Graham
...Ces séparations entre divers groupes d'amis avaient sans doute pour but, aux yeux de Morrison, de protéger en partie sa vie privée : d'un groupe à l'autre, il pouvait exprimer toutes les facettes de sa personnalité sans pourtant s'ouvrir complètement à quiconque. Or deux conséquences suivent de cette attitude.
D'une part, à dissimuler toujours une partie de lui-même à ses interlocuteurs, Morrison était forcément toujours « en représentation », en train de jouer un rôle qui ne correspondait pas exactement à ce qu'il était ; cette timidité, voire cette dissimulation, allant de pair avec une vive inventivité, un indéniable talent de conteur et un certain degré d'hypocrisie, constitue sans doute l'un des principaux traits de caractère de Morrison.
Il n'est jamais complètement sincère, sauf peut-être dans quelques moments exceptionnels (voir ci-dessous le témoignage de Michael McClure à propos de la réception de The Lords and The New Creatures) et lorsqu'il s'avoue, précisément, menteur, trompeur, calculateur.
Ainsi dans les chansons The Changeling (« I'm a changeling/See me change » : « Je suis un change forme / Regarde-moi me transformer ») et la très dérangeante The Spy (« I'm a spy in the house of love/I know the dream that you're dreaming of/[...] I know your deep and secret fears/I know everything/Everything you do/Everywhere you go/Everyone you know » — « Je suis un espion dans l'antre de l'amour/Je connais le rêve que tu rêves/[...] Je connais tes terreurs secrètes/Je connais tout/Tout ce que tu fais/Tous les endroits où tu vas/Tous les gens que tu connais »).
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© DR - THE DOORS p3
13/11/2012 09:14
Poster by Victor Moscoso ©
Family Dog © Chet Helms © Classic Posters © Bill Graham
Aussi tous les témoins directs de la vie de Morrison ont-ils une vision nécessairement biaisée de Jim/James Douglas, non seulement parce qu'ils sont subjectifs, mais aussi (surtout) parce que Morrison lui-même entretenait la confusion, mentait sans vergogne, promettait ce qu'il savait ne pas vouloir tenir.
D'autre part, au cours de l'année 1969, cette stratégie de séparation entre divers groupes d'amis commence à montrer ses limites et même son caractère pervers : menant de front sa carrière de chanteur, son travail de poète et une activité de réalisateur-producteur de cinéma,Morrison se trouve tiraillé entre plusieurs impératifs inconciliables, d'où un stress professionnel intense aggravé par la peur d'un procès etl'éventualité d'une condamnation à de la prison ferme.
À cela s'ajoute la dissimulation dont il fait preuve à l'égard de sa compagne, Pamela Courson, car depuis avril 1969, Morrison entretient une relation avec Patricia Kennealy ; or cette jeune journaliste n'a rien de la "groupie" . Fière militante féministe, elle ne se laisse pas impressionner par le statut de « star », et sa solide culture générale lui permet de rivaliser intellectuellement avec Morrrison, lequel se montre par ailleurs fasciné par le fait que Patricia Kennealy pratique la sorcellerie wicca.
Mais en même temps, Morrison souhaite ménager Pamela dans la mesure où elle l'encourage dans sa carrière de poète (en décembre 1969, elle lui demande même d'interrompre sa carrière avec The Doors) -C'est d'ailleurs par l'intermédiaire de la sœur de Pamela que Morrison a pu rencontrer Michael McClure.Ce sera néanmoins avec Pamela qu'il quittera les États-Unis pour Paris.
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