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©-DR-ASCENSEUR POUR L'ECHAFAUD de Louis Malle (1958) p25
23/10/2014 16:57
Yori Bertin : Véronique
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Il semblerait donc que l’un des responsables de ce déséquilibre soit l'adaptateur du récit de Noël Calef, Roger Nimier, un auteur assez en vogue à l’époque pour son aura trouble et son regard pessimiste : de l’aveu même de Louis Malle,Nimier n’avait à peu près aucun sens cinématographique Seul à ses yeux, comptait le verbe. Celui-ci ne manque à l’occasion pas de style mais s’incarne en général fort mal à l’écran, que ce soit dans la bouche de Yori Bertin (« Ils vont nous séparer. Toi tu seras chez les hommes. Moi chez les femmes. Nous ne serons plus ensemble qu’à la première page des journaux »)
ou dans celle de Jeanne Moreau ; pour développer un peu le propos de Jacques Lourcelles dans son dictionnaire, on pourrait presque résumer le problème en disant, en substance, que les comédiens d’Ascenseur pour l’échafaud sont formidables dès qu’ils se taisent. C’est en ce sens Maurice Ronet qui s’en sort le mieux, dans un rôle de solitaire, et la manière dont il occupe l’espace réduit de l’ascenseur lors de ses tentatives pour s’en extraire témoigne de la qualité physique du comédien.
A la fin du film, on voit apparaitre un quasi-débutant nommé Lino Ventura, lequel, avec son intelligence de jeu et une redoutable économie verbale, compose un personnage beaucoup moins vain que la plupart des autres protagonistes, démontrant un peu par l’absurde ce que le film aurait pu être sans ses mots trop encombrants.
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©-DR-ASCENSEUR POUR L'ECHAFAUD de Louis Malle (1958) p26
23/10/2014 17:01
Il est d’autant plus dommage que les dialogues pénalisent à ce point, notamment, tout ce qui concerne Louis et Véronique, que le portrait dressé par le film de cette jeunesse est pertinent, féroce, mais aussi moderne : ce sont les chimères de la société consumériste qui les ont éloignés des réalités du monde, et il semblerait ainsi que le beau blouson tout neuf, la belle voiture américaine ou l’appareil photo design aient plus d’importance aux yeux de Véronique que le vol, le meurtre ou le suicide.
A défaut d’avoir des valeurs morales auxquelles se raccrocher, sa vision du monde est réduite à des signes extérieurs directs, essentiellement du registre de l’apparence. Mais en extrapolant un peu, à partir des quelques échanges entre Véronique et Florence (l’une qualifiant l’autre de vieille, l’autre traitant l’une comme une gamine, quand bien même elles n’ont que quelques années d’écart), on pourrait presque avoir l’impression qu’elles reconnaissent l’une en l’autre ce qu’elles étaient ou ce qu’elles pourraient devenir : finalement, Florence a épousé un homme beaucoup plus vieux qu’elle pour assurer sa situation financière, et ensuite pris un bel et jeune amant...
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©-DR-ASCENSEUR POUR L'ECHAFAUD de Louis Malle (1958) p27
23/10/2014 17:18
Plus globalement, c’est toute la société décrite par Ascenseur pour l’échafaud qui semble, doucement,grignotée par la veulerie et l’individualisme : personne n’aide réellement personne,dans le film, chacun étant trop occupé à satisfaire ses propres objectifs individuels Cela est assez bien,quoique très rapidement,résumé par le personnage de Simon Carala, figure avant l’heure du grand patron siégeant en haut de son immeuble de verre, qui domine un monde dont il n’a que faire si ce n’est tirer profit.
Il va sans dire que cet archétype, sans doute inspiré du cinéma américain, était pour le coup plus rare dans le cinéma français,simplement pour la rareté de tels immeubles dans le Paris des années 50! Plus généralement, Louis Malle, des années plus tard, exprimait d’ailleurs avec une certaine satisfaction le portrait anticipatif que son film dressait de la capitale, presque plus proche des années 60 à venir que de son époque de tournage. (voui...on est juste à 2 ans des 60's quand même)
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©-DR-ASCENSEUR POUR L'ECHAFAUD de Louis Malle (1958) p28
23/10/2014 17:22
Pour tout dire, à courir tant de lièvres à la fois, il nous semble parfois qu’Ascenseur pour l’échafaud passe à côté de quelque chose ; prenons cette trame principale concernant Julien, accusé d’un crime qu’il n’a pas commis mais qui l’innocenterait de celui qu’il a réellement perpétué : on rêverait tout simplement de savoir ce que, à la même époque, un Fritz Lang aurait pu faire d’un tel postulat ! Mais à vouloir également raconter une (voire des) histoire(s) d’amour ; traduire l’atmosphère de ces nuits parisiennes ; livrer une critique du modèle consumériste qui fait rêver la jeunesse française ; évoquer le poids lancinent de la guerre sur la société de l’époque... le film donne parfois l’impression d’être dans l’approche de tout ce qu’il aimerait être mais ne parvient finalement qu’à effleurer.
Ce n’est pas, entendons-nous bien, un film basé sur l’esbroufe, un coup d’éclat de petit malin recherchant le tape-à-l’œil ou l’ostentatoire, et il faut certainement reconnaître à Louis Malle une retenue et une rigueur certaine dans la réalisation, mais plutôt, à nos yeux, une œuvre dont les ambitions ont outrepassé la concrétisation. (5) C’est ainsi finalement lorsqu’il ne dit pas du tout, et qu’il laisse l’imaginaire du spectateur faire son travail, qu’il devient le plus stimulant : le personnage de Julien, par exemple, est ainsi habité d’une belle ambigüité.
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©-DR- ASCENSEUR POUR L'ECHAFAUD de Louis Malle (1958) p29
23/10/2014 17:29
Au début, on jurerait qu’il s’agit d’un garçon brillant, par exemple un ingénieur, un héros de guerre bien sous tous rapports... et puis progressivement, par touches minimes, le film laisse deviner autre chose,une petite frappe,un mercenaire chargé d’intimider la concurrence industrielle, un assassin régulier peut-être... Le film se garde bien de conclure à son sujet, ménageant ainsi un trouble assez fascinant.
Le film obtint le Prix Louis Delluc 1957 - Malle l’obtint de nouveau 30 ans plus tard pour Au revoir, les enfants - alors que le film suivant du cinéaste, Les Amants, reçut un prix au Festival de Venise... Ces récompenses, régulières, qui jalonneront ainsi la carrière du cinéaste depuis ses débuts jusqu'à son terme, permettent peut-être de mettre un doigt assez subjectif sur ce qui nous semble être l’une des caractéristiques de ce séducteur notoire : à défaut de posséder un style majeur, Malle savait probablement comme peu de cinéastes sentir les courants d’une époque et réaliser le bon film au bon moment,
en anticipant les mouvements sur le point de surgir ou en faisant naître à l’occasion la polémique (Le Souffle au cœur, Lacombe Lucien...). L’impact contextuel de ses films, représentatifs d’un esprit ou d’un temps, doit ainsi être pondéré lors de l’appréhension de sa filmographie, quand bien même leur aspect daté sauterait aux yeux. A cet égard, il convient, malgré ses défauts apparents, de ne pas sous-estimer l’importance historique d’Ascenseur pour l’échafaud.
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