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© DR - PICKUP ON SOUTH STREET de Samuel Fuller (1953) p13
28/03/2013 01:05
DVD CLASSIK (6)
Le cinéaste aura d’ailleurs toujours cette particularité, pour ses autres films noirs, de chercher à décrire un phénomène social réaliste et précis et de tourner le plus possible en décors naturels. En l’occurrence ici, il utilise à merveille les décors new-yorkais, qui sont en fait… des rues de Los Angeles !!!Le métro,les quais,les ponts,sans oublier les décors créés de toute pièces par Lyle Wheeler, comme celui fabuleux de la cabane de Skip, forment une géographie de la ville à la fois très poétique et très réaliste.
La mise en scène de son film est en partie faite à l’instinct comme il le dit si bien dans son entretien lors de l’émission "Cinémas, cinéma" : alors que pendant dix minutes, il va passer d’une scène à l’autre à l’aide de fondus enchaînés, sans prévenir, la séquence suivante sera amenée par un "cut" brutal à l’aide duquel Fuller a senti pouvoir amener une certaine déstabilisation chez le spectateur. On a parfois l’impression d’un film tourné dans l’urgence, "à l’arraché", comme pouvait déjà l’être deux ans auparavant le formidable The Enforcer(La Femme à abattre) de Raoul Walsh : des films, comme les fameux "Pulp Fiction,parcourus d’un frémissement électrique qui vous prennent aux tripes, parfois vulgaires, d’une violence, d’une brutalité et d’une crudité exceptionnelles, mais aussi parfois formidablement émouvants comme, dans Pickup.Ce long et poignant plan séquence de la mort de Thelma Ritter (fabuleuse actrice qui, soit dit en passant, fut nommée pour l'Oscar du second rôle, gagné de justesse par Donna Reed pour son interprétation dans Tant qu’il y aura des hommes de Fred Zinnemann).
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© DR - PICKUP ON SOUTH STREET de Samuel Fuller (1953) p14
28/03/2013 04:37
DVD CLASSIK (7)
77 minutes seulement de film noir brut de décoffrage à l’énergie euphorisante.Une splendide photographie de Joseph McDonald au noir et blanc extrêmement contrasté, une partition entêtante de Leigh Harline à la fois syncopée, jazzy et comprenant des accords faisant penser à de la musique asiatique, une mise en scène vigoureuse et lyrique au tempo haletant.Une utilisation phénoménale de la profondeur de champs, de savants et flamboyants mouvements d’appareils dévoilant de poétiques plans d’ensemble alternant avec de longs plans séquences et de très gros plans parmi les plus expressifs et sensuels jamais vus au cinéma, tout ceci marqué par la sensibilité à vif du cinéaste.
Bref,comme le disait Martin Scorsese"une mise en scène graphique qui a la force des dessins de storyboardsun style totalement cinématographique" et donc une remarquable leçon de cinéma puisque tout y passe dans un ensemble sans véritable continuité stylistique hormis l’instinct du metteur en scène à nous scotcher à l’écran. Et pourtant à la vision des deux séquences de vol qui ouvrent et closent le film, on est stupéfait à la fois par la science du montage et du découpage de Fuller et par la symétrie et la ressemblance qui existent entre les deux scènes : je me demande si l’instinct a eu ici un grand rôle à jouer tellement la perfection est au rendez-vous !Quant à l’intrigue, elle est d’une très grande linéarité, simple et réduite à l’essentiel.
Même si Fuller trouvait idiot que les français aient transformé les communistes en dealer*, il faut bien admettre qu’à l’intérieur de cette histoire, c’est tout aussi crédible, ce qui prouve que l’anticommunisme vilipendé du film n’était pas d’une aussi grande importance, n’étant pas le principal sujet mais, comme les "McGuffin" chers à Alfred Hitchcock, un simple détail.
Les protagonistes,des premiers rôles aux 3e couteaux sont tous très précisément caractérisés mais possèdent aussi chacun leur ambiguïté et leur part d’ombre. Fuller nous rend tous les personnages principaux très proches car, s’ils sont pour la plupart en équilibre précaire sur la corde raide entre le bien et la mal, ils possèdent une part d’humanité non négligeable qui ressort parfois au grand jour :Candy, en assommant Skip pour le retenir d’aller faire une action déshonorante ; Moe en refusant de livrer Skip par peur du sort qui lui adviendrait ;Skip, en allant chercher le cadavre de Moe qui allait partir pour la fosse commune et lui offrir un enterrement décent comme elle en avait toujours rêvé.
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© DR - PICKUP ON SOUTH STREET de Samuel Fuller (1953) p15
28/03/2013 04:46
DVD CLASSIK (8)
Cette dernière scène, quasi muette en un long plan d’ensemble fixe, est absolument bouleversante et, comme Guérif nous le fait remarquer, personne d’autre avant Fuller n’avait parlé ouvertement du sort réservé aux plus pauvres aux USA et il faudra attendre encore quarante ans avec Le Saint de Manhattan en 1995 pour qu’un cinéaste y revienne.Il existe donc chez ces "rebuts de la société", un certain sens de l’honneur, une solidarité et un zeste d’intégrité qui font que Candy, Skip et Moe restent des personnages inoubliables et s’imposent à jamais dans l’histoire du film noir.
A l'origine, le rôle de Candy était prévu pour Marilyn Monroe, mais cette dernière, qui répétait les chansons et les danses des Hommes préfèrent les blondes de Howard Hawks, ne put se libérer pour le tourner (Mauvaise pioche! Les hommes préfèrent... est d'une navrante bétise!).Jean Peters, qui était le premier choix de Fuller, obtint de jouer le personnage qui reste l’une de ses interprétations les plus mémorables avec celle dans Bronco Apache de Robert Aldrich. Après le refus de Marilyn, sachez que nous avons échappé à Betty Grable:les dieux devaient veiller sur ce film !
Si on ne parle jamais de la profession de Candy, il paraît évident qu’il s’agit d’une prostituée )Fuller la filme souvent de très près et sa sensualité et son érotisme sautent aux yeux du spectateur. Il faut l’avoir entendu dire, quand Skip se met goulûment à l’embrasser, "enlever mon rouge à lèvres ne fera pas augmenter le prix" pour ne plus avoir de doute sur ses activités. Ses relations avec Skip sont au départ basées sur le mensonge, la sauvagerie et une certaine vulgarité, et l’on peut dire, comme certains l’ont fait avec Hitchcock, que les scènes ‘d’amour’ de Pickup sont filmées comme des scènes de combats. Il semblerait que le cinéaste s’est acharné à faire souffrir son héroïne : lors de son premier contact avec Skip, elle se prend un coup de poing dans la figure qui la met KO et plus tard elle se fera défigurer par son amant.
Le joli visage tuméfié de Jean Peters à la toute fin du film, caressé amoureusement par Skip, est resté gravé intact dans ma mémoire depuis ma première vision du film jusqu’à ce jour, c’est dire si Fuller a le sens de l’image marquante.
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© DR - PICKUP ON SOUTH STREET de Samuel Fuller (1953) p16
28/03/2013 04:54
DVD CLASSIK (9)
Inconnu du réalisateur, Richard Widmark fut par contre imposé pour le rôle de Skip et, grâce soit rendue à Zanuck, car pour l’acteur aussi, c’est un des personnages les plus inoubliables de sa carrière avec ceux qu’il tenait dans Les Forbans de la nuit * de Jules Dassin et dans La Dernière caravane de Delmer Daves Insolent, violent, à l’humour sardonique ("Je vais t’enfoncer ce sourire" dira le policier, agacé par son air narquois), solitaire et totalement retiré du monde au point de vivre dans une minuscule cabane au bout d’un quai,Skip est un personnage désabusé "Je ne crois personne" mais bien vivant et d’une confiance en lui à toute épreuve.
Toujours souriant, il exerce sa ‘profession’ avec amour et il est content comme un gosse quand il réussit à faire échouer une filature qui le prenait pour cible. Ce n’est ni plus ni moins qu’un grand enfant qui ne sait pas exprimer ses sentiments par la parole mais par les gestes qui se font donc tous plus ou moins (plus!..ce gars là ne connait pas le moins) brusques et violents.
Son amitié avec la vieille indicatrice est aussi un trait de génie du cinéaste-scénariste. Moe a beau l’avoir trahi à de nombreuses reprises puisque "si certains colportent des vivres, moi ce sont des renseignements", Skip ne lui en tient pas rigueur comme elle l’explique si naturellement : "Nous vivons différemment des autres : Skip me comprend, il ne m’en veut pas. Il n’est fâché que lorsque je le trahis pour trop peu". * Dans PICK UP...il s'était calmé,en faisait moins..."Désolé" pour les inconditionnels mais Widmark je le préfère plus tard .(comme Bogart d'ailleurs)--...Dans ses premiers films il m'épuise !
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© DR - PICKUP ON SOUTH STREET de Samuel Fuller (1953) p17
28/03/2013 05:04
DVD CLASSIK (fin)
Tous les personnages qui gravitent autour sont aussi très bien croqués, même ceux qui n’apparaissent que quelques minutes à l’écran : les deux policiers non dénués d’ambiguïté, l’un ayant été déjà suspendu à plusieurs reprises pour cause d’acharnement violent contre des prévenus, l’autre n’hésitant pas à utiliser la corruption pour arriver à ses fins ; Joey, inquiétante figure de tueur, toujours filmé suant la peur en très gros plan ; l’indic obèse, dans un restaurant chinois, prenant les billets chiffonnés à l’aide de ses baguettes et les glissant dans la poche de sa chemise tout en continuant de manger, etc., (vraiment extras tous les deux!!)
Une formidable galerie de portraits qui gravitent autour de nos"héros"au milieu d’un paysage urbain angoissant et nocturne,et qui finissent de tisser un tout vraiment difficilement oubliable.Et puisqu’un film de Fuller ne doit pas se conclure d’une manière traditionnelle, même si Skip et Candy finissent par coopérer, ce n’est aucunement par patriotisme et aucun rachat n’est suggéré puisque chacun s’en va continuer à exercer sa "‘profession inavouable".Du précipité de noirceur très consistant et tenace teinté de lyrisme : précipitez vous, car vous ne verrez pas un film de cette trempe toutes les semaines. Par Erick Maurel - le 26 mai 2004
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