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© DR - EVE de Joseph L Mankiewicz (1950) p16
16/01/2013 14:06
Analyse/critique par Jack Sullivan(suite)4
Les premiers soupçons sur Eve, toujours si suave et si parfaitement organisée, si totalement dévouée à sa protectrice,se font jour lorsqu’elle commence à prendre des initiatives concernant Margo à l’insu de celle-ci. Plus significativement encore, elle prend sur elle de mettre en place des célébrations pour l’anniversaire de Bill Sampson au nom de Margo.
Celle-ci, déjà trop consciente de son âge dans cette relation avec un homme plus jeune qu’elle : "Bill's thirty-two. He looks thirty-two. He looked it five years ago, he'll look it twenty years from now. I hate men." ("Bill a 32 ans. Il fait ses 32 ans. Il les faisait il y a 5 ans, il les fera encore dans 20 ans. Je hais les hommes »), ne peut que réagir d’une manière viscéralement défensive face aux attraits supposés de la jeune femme. Elle fonce comme un taureau sur ce chiffon rouge et baisse sa garde sur le côté professionnel de sa vie, où se porte la véritable offensive d’Eve.
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© DR - EVE de Joseph L Mankiewicz (1950) p17
16/01/2013 14:26
Analyse/critique par Jack Sullivan (suite)5
Intervient alors la fameuse scène de la soirée d’anniversaire de Bill, célèbre entre toutes par ce pronostic de Margo, déjà ivre avant même l’arrivée des invités :"Fasten your seat belts, it’s going to be a bumpy night." ("Attachez vos ceintures, ça va secouer cette nuit.").
Margo provoque aussitôt une dispute avec Bill, folle de jalousie qu’il ait eu l’audace de passer quelques instants avec Eve plutôt que de la rejoindre dès son arrivée. En filigrane de cette confrontation, nous voyons une Margo en plein dilemme entre la compensation de sa fureur avec les chocolats destinés aux convives, et la préservation de sa ligne (problème qui se doit d’être au centre des préoccupations d’une actrice dépassant la quarantaine).
Nous la voyons prendre un chocolat, le reposer après mûre réflexion, puis le reprendre et l’avaler d’autant plus résolument que Bill vient qualifier de ridicule sa suspicion vis-à-vis d’Eve. L’ensemble de la scène, si simple soit-elle dans les ingrédients qui la composent, est un petit bijou qui met brillamment en valeur les qualités de Mankiewicz en tant que connaisseur des caractères.
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© DR - EVE de Joseph L Mankiewicz (1950) p18
16/01/2013 14:46
Analyse/critique par Jack Sullivan (suite)6
« C’est une carrière que toutes les femmes ont en commun (…) : être une femme »
Margo semble n’être au départ qu’une insupportable harpie se promenant toujours avec aux lèvres une cigarette et une réplique mordante,qu’on croirait tirée d’une pièce (Karen:" Margo compense son sous-jeu sur scène en surjouant dans la vie").
Lorsqu’il expliqua à Bette Davis comment aborder le personnage de Margo, Mankiewicz la lui résuma ainsi : « une femme qui traite son manteau de vison comme si c’était un poncho. » Et, de fait, alors qu’elle s’apprête à accompagner Bill à son avion, au début du film, nous la voyons récupérer sa fourrure jetée en tas sur le sol de sa loge.
La clé de sa nature est là, dans une attitude blasée dans son rapport à la célébrité (qu’elle considère comme acquise indéfiniment), mais aussi dans un pragmatisme tout terrien : elle possède sans désirer vraiment, et sent très bien que son bonheur ne se trouve pas là.
La femme Margo Channing ne deviendra visible (et attachante) que lorsque les succès d’Eve lui feront perdre de sa superbe et la confronteront à son âge, à la fois professionnellement et personnellement. À la faveur d’une panne d’essence qui la bloque en rase campagne aux côtés de Karen, Margo procède à un mea culpa en forme de bilan de sa vie.
Sans complaisance aucune, elle reconnaît ouvertement que son personnage de virago flamboyante l’a prise au piège, et qu’elle craint que son entourage cesse de l’aimer si elle s’en éloigne. Enfin, plus que tout, elle avoue soupirer après des plaisirs plus simples de femme mariée, et vouloir quelque chose qui lui tienne plus chaud, la nuit dans son lit, que sa seule carrière.
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© DR - EVE de Joseph L Mankiewicz (1950) p19
16/01/2013 14:54
Analyse/critique par Jack Sullivan (suite)7
Eve quant à elle se fraie un chemin dans le monde du théâtre qui l’attire tant, avec un mélange soigneusement dosé de prévenance (paravent pour son opportunisme affûté) et de gaucherie (cette dernière ne faisant que dissimuler son tempérament calculateur).
On sent cependant l’envie violente qui la taraude lorsque, depuis les coulisses, elle écoute l’ovation qui salue la performance de Margo. Eve est, au contraire de Margo, amoureuse du décorum et de la pompe qui entourent les stars.
À un moment de la soirée d’anniversaire de Bill, elle se laisse aller à parler de l’effet transcendant que lui font les applaudissements : « (…) like waves of love pouring over the footlights, and wrapping you up. (…) They want you, you belong. » (« comme des vagues d’amour débordant de la rampe et vous enveloppant. (...) On vous veut, vous êtes à votre place. »)
On devine que pour elle,l’adhésion des foules lui procure ce qui lui manque :la reconnaissance,le sentiment de valoir quelque chose, d’être à sa place, un substitut à l’amour véritable.(Mwouaais...y a t'il tant de gens que ça pour "vivre un amour véritable"?)
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© DR - EVE de Joseph L Mankiewicz (1950) p20
16/01/2013 16:50
Analyse/critique par Jack Sullivan (suite)8
Le soir où se produit la panne d’essence, Eve s’empare du rôle de Margo et tente de mettre la main sur Bill : c’est, à tout le moins, un putsch. Malheureusement pour Eve, Addison est témoin de la tentative de séduction ratée. Eve ne comprend pas immédiatement que de maîtresse de son destin, elle en est devenue l’esclave.
Jusqu’à ce que, la veille de la première de la pièce où elle tient le premier rôle, Addison la confronte à ses mensonges et à ses bassesses. Mais il ne s’agit pas de reproches ou de jugement, bien plutôt de l’hommage rendu à son égale en fourberie:"killer to killer"("d’un tueur à un autre").
Il prend bien soin cependant, dans ce dialogue d’une violence extrême, de lui faire sentir la laisse par laquelle il la tient. Le mot « belong » revient alors : « Do you realize, and do you agree, how completely you belong to me ? » ( « Comprenez-vous à quel point vous m’appartenez totalement ? »), non plus avec la connotation de « trouver sa place » dans le monde et parmi les gens, mais plus crûment d' « être dans le pouvoir » d’une personne.
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