Analyse/critique par Jack Sullivan (suite)6
« C’est une carrière que toutes les femmes ont en commun (…) : être une femme »
Margo semble n’être au départ qu’une insupportable harpie se promenant toujours avec aux lèvres une cigarette et une réplique mordante,qu’on croirait tirée d’une pièce (Karen:" Margo compense son sous-jeu sur scène en surjouant dans la vie").
Lorsqu’il expliqua à Bette Davis comment aborder le personnage de Margo, Mankiewicz la lui résuma ainsi : « une femme qui traite son manteau de vison comme si c’était un poncho. » Et, de fait, alors qu’elle s’apprête à accompagner Bill à son avion, au début du film, nous la voyons récupérer sa fourrure jetée en tas sur le sol de sa loge.
La clé de sa nature est là, dans une attitude blasée dans son rapport à la célébrité (qu’elle considère comme acquise indéfiniment), mais aussi dans un pragmatisme tout terrien : elle possède sans désirer vraiment, et sent très bien que son bonheur ne se trouve pas là.
La femme Margo Channing ne deviendra visible (et attachante) que lorsque les succès d’Eve lui feront perdre de sa superbe et la confronteront à son âge, à la fois professionnellement et personnellement. À la faveur d’une panne d’essence qui la bloque en rase campagne aux côtés de Karen, Margo procède à un mea culpa en forme de bilan de sa vie.
Sans complaisance aucune, elle reconnaît ouvertement que son personnage de virago flamboyante l’a prise au piège, et qu’elle craint que son entourage cesse de l’aimer si elle s’en éloigne. Enfin, plus que tout, elle avoue soupirer après des plaisirs plus simples de femme mariée, et vouloir quelque chose qui lui tienne plus chaud, la nuit dans son lit, que sa seule carrière.