Dans un village turc, cinq sœurs vivent dans un environnement strict. Des mariages forcés se préparent...
Synopsis détaillé(partiel...ils racontent tout)
Cinq sœurs orphelines sont élevées par leur grand-mère dans un village du nord de la Turquie, à 1 000 d'Istanbul. Le dernier jour de l'année scolaire, elles rentrent chez elles par le bord de mer, en compagnie de camarades de classe. Juchées sur les épaules des garçons, elles s'affrontent pour se faire tomber à l'eau tout habillées. Les ragots du village les précèdent chez elles. Leur jeu innocent a été jugé obscène. L'oncle Erol — très à cheval sur un patriarcat qui se drape de tradition, de morale et de religion — reproche à sa mère (la grand-mère des filles) une éducation trop laxiste. Les aînées doivent subir à l'hôpital un examen d'intégrité hyménéale. Et la maison se transforme peu à peu en prison : murs d'enceinte rehaussés, portes fermées à clef, barreaux aux fenêtres, plus d'école, plus d'ordinateur, plus de téléphone, mais des cours de cuisine et de ménage dispensés par des femmes à hijab.
La benjamine, Lale, sollicite de l'oncle Erol l'autorisation de l'accompagner à un match de football. Erol refuse. Comme des violences entre supporters ont émaillé une précédente rencontre, la Fédération de Turquie de football décide que le prochain match sera joué non pas à huis clos, mais devant un public exclusivement féminin. Les cinq filles font le mur et réussissent à gagner le stade en car. Cependant, à la maison, les hommes se disposent à regarder le match à la télévision. Dans la cuisine, il y a également un téléviseur, et les femmes ont la surprise de voir les filles apparaître sur l'écran. Une tante a le réflexe de faire sauter les plombs de la maison. Puis elle sort et, à coups de pierre, fait disjoncter un transformateur, privant tout le village d'électricité.
Si le pire a été évité, puisque les hommes et le voisinage n'ont rien su, les conséquences vont quand même être lourdes pour les cinq sœurs. On leur confectionne des robes informes « couleur de merde[3] » qu'elles méprisent. Et leurs mariages vont être arrangés tour à tour.L'aînée, Sonay, tient bon. Elle menace de faire un scandale si on ne la laisse pas épouser Ekin, son petit ami. La grand-mère cède.
Selma, la deuxième, se laisse marier à Osman, un garçon qui ne lui plaît pas du tout. Durant la nuit de noces, la famille d'Osman tambourine nerveusement à la porte de la chambre pour contrôler le drap nuptial. Il y a bien eu pénétration, mais pas la moindre trace de sang sur le drap. Pistolet à la ceinture, le père entraîne sa bru à l'hôpital pour un nouvel examen. Il s'avère que l'hymen est toujours intact, comme cela arrive parfois. La jeune épouse a la vie sauve.
Il est révélé que l'oncle Erol abuse de Ece. Celle-ci adopte un dangereux comportement et finit par se suicider. Lale, est déterminée à s'enfuir vers Istanbul, elle apprend à conduire en cachette avec l'aide de Yasin, un chauffeur-livreur. Alors qu'elle rentre chez elle, la voisine la surprend. Des barreaux aux fenêtres sont ajoutés, sortir de la maison est devenu impossible....
Le tournage débute en août 2014 à İnebolu, port de la mer Noire, à 600 à l'est d'Istanbul[8]. Aucun film n'a encore été tourné là-bas[9]. Le village de la fiction se situe à 1 000 d'Istanbul (dixit Yasin). On peut donc l'imaginer encore plus à l'est, dans la province de Trabzon, elle aussi au bord de la mer Noire[10]. La région est « connue comme un berceau d’idées ultra-nationalistes, charriant aussi dans les médias leurs corollaires de crimes retentissants[10]. » On peut de même imaginer que le match auquel les filles se rendent en car a lieu dans la préfecture de la province, Trabzon[10] (l'ancienne Trébizonde), où le football est particulièrement populaire
Musique
Pour composer la musique, Deniz Gamze Ergüven fait appel à l'AustralienWarren Ellis (le violoniste de Dirty Three, de Nick Cave and the Bad Seeds et de Grinderman) dont elle apprécie la puissance narrative : « Quand Warren joue du violon, on a le sentiment d’entendre une voix qui raconte une histoire. Et ses orchestrations sont bouleversantes. Il y avait une évidence esthétique dans cette rencontre, une cohérence entre les décors du film — la grande maison en bois, les paysages de la mer Noire — et le choix de ses instruments[9]. »
Contexte
Remontée progressive du patriarcat
La Turquie accorde le droit de vote aux femmes bien avant la France[11]. « C’est, dit Deniz Gamze Ergüven, un pays officiellement laïque où les femmes ont voté dans les années 30, y'a aussi des vrais trucs de modernité[12]. » De 1982 à 2002, le mouvement des femmes devient une force en Turquie[13]. En 1983, une loi autorise l'IVG jusqu'à la dixième semaine de grossesse[14].
Mais, depuis l'arrivée au pouvoir en 2003 de l'AKP, le parti de Recep Tayyip ErdoÄŸan, le patriarcat regagne du terrain par petites touches, sous couvert de tradition, de morale ou de religion. En 2012, ErdoÄŸan assimile l'IVG à un « meurtre », et affiche sa volonté de la rendre illégale au-delà de quatre semaines de grossesse[15]. Ses exhortations à faire trois enfants se multiplient, l'accroissement de population devant permettre à la Turquie de se placer parmi les dix économies les plus puissantes du monde[15].
« Une des choses que fait le gouvernement actuel, dit Deniz Gamze Ergüven, c’est de transformer les écoles laïques en écoles religieuses […] IIs sont en train de torpiller la laïcité à sa source. Ce qui veut aussi dire qu’ils sont en train de modeler une société très religieuse qui peut être dirigée un peu comme des moutons dans une direction ou une autre. Ce n’est pas dans un but spirituel, mais dans un but de générer de la cohésion sociale identitaire[12]. »
Pour la réalisatrice, le pays est « paradoxal » vis-à-vis des femmes : « Depuis les années 30, nous avons le droit de vote, mais la société est au fond profondément patriarcale, le code de l’honneur a beaucoup d’importance[16]… » En Turquie, 53 % des femmes assassinées le sont par leur mari, et 17 % par un autre membre de la famille[15]. De 2002 à 2009, 4 063 femmes sont assassinées pour « cause d'honneur »[15]. Durant la même période, si 15 564 personnes se voient inculpées pour assassinat ou violences faites aux femmes, elles ne sont que 5 700 à être condamnées[15].
Le29juillet2014 , Bülent Arınç, vice-Premier ministre, déclare : « Une femme doit conserver une droiture morale, elle ne doit pas rire fort en public[17]. » Et, le 24novembre2014 , ErdoÄŸan, devenu président de la République, assure, Coran à l'appui, que la femme ne peut être considérée comme l'égale de l'homme. « Notre religion, dit-il, a défini une place pour les femmes dans la société : la maternité[18]. » Les deux sexes ne peuvent être traités de la même façon, « parce que c'est contre la nature humaine[18] ». Il ajoute : « Vous ne pouvez pas mettre sur un même pied une femme qui allaite son enfant et un homme[18]. »
« Je voulais raconter ce que cela représente d’être une femme aujourd’hui en Turquie, dit la réalisatrice. Le pays a toujours été partagé entre deux courants, l’un progressiste, l’autre rétrograde, mais depuis quelques années le second s’impose. Chaque semaine, des types de l’AKP font des déclarations odieuses sur les femmes, qui contribuent à polluer les esprits. Ils nous obligent à nous cacher, à nous taire, à avoir honte[8]. »Mustang est donc un film cherchant à raconter ce qu'est une femme dans la société turque d'aujourd'hui, où sa place fait débat[9]… Quel est le rapport de la femme turque à la sexualité ? Que penser d'un conservatisme absurde qui voit de la sexualité partout ? Pourquoi un pays qui fut l'un des premiers à accorder le droit de vote aux femmes sombre-t-il dans l'obscurantisme au point de leur refuser le droit de disposer de leur propre corps[9] ?
En juillet 2011, lors d'un match amical, les supporters de l'équipe de football de Fenerbahçe envahissent le terrain. Plutôt que d'infliger au club une amende ou une rencontre à huis-clos, la Fédération de Turquie de football décide d'interdire les spectateurs masculins de plus de 12 au match de troisième journée de Championnat Fenerbahçe-Manisaspor. Le 20 septembre, au stade Åžükrü SaracoÄŸlu d'Istanbul, c'est une première mondiale : le public est composé de 41 000 femmes et enfants[19].
Le 15 septembre 2015, la Turquie choisit le film qui va la représenter dans la course à l'Oscar 2016 du meilleur film en langue étrangère. Il s'agit non pas de Mustang, mais de Sivas[24]. Le 22 septembre, la France choisit Mustang[25]. Le 14janvier2016 , il fait partie des cinq films nommés dans sa catégorie[26].
«MUSTANG», LES CINQ SŒURS ENFERMÉES DE L’INTÉRIEUR Par Julien Gester — 16 juin 2015 à 18:56
La réalisatrice Deniz Gamze Ergüven raconte les vexations et l’enfermement subis par des orphelines destinées à être mariées.Production franco-turque remarquée en mai à la Quinzaine des réalisateurs, le premier film de Deniz Gamze Ergüven met en scène le destin d’infortune de cinq jeunes sœurs radieuses sur un mode qui allie le conte mythologique à une récente tradition cinématographique d’édification des publics de salles art et essai quant au sort des femmes dans ces sociétés que régentent encore le puritanisme et les conservatismes religieux - du Moyen-Orient à l’Amérique profonde.
A Cannes, on se complut assez vite dans la facilité de le résumer à un «Virgin Suicides turc», en référence à cet autre premier long métrage signé quinze ans plus tôt par une jeune cinéaste, Sofia Coppola, lui aussi habité par une sororité de cinq Grâces séquestrées, à la joliesse virginale consumée non par les dévoiements et les appétits de leur âge, mais par l’obscurantisme qui voudrait les en préserver. Et si Mustang vaut un peu mieux que la réduction à cette étiquette, il faut convenir que le film, ou tout du moins son scénario, y prête le plus souvent le flanc, au point même de rarement chercher à en excéder tout à fait le programme.
Comme tant d’autres fictions d’une invention de soi douloureusement contrariée, Mustang s’élance sous les lumières de l’été naissant alors que l’année scolaire s’achève, ici dans une petite ville côtière en bordure des plages de la mer Noire. Là s’ébrouent encore dans les jeux et les élans insouciants de leur jeunesse ces sœurs orphelines qu’élèvent avec une autorité sans cesse mise en défi leur grand-mère et leur oncle : Nur, Selma, Ece, Sonay et Lale, la benjamine, dont le film épouse tout du long le regard plein d’insondable fièvre charbonneuse. Les premiers plans, qui les cueillent toutes dans leurs uniformes scolaires à la sortie du lycée, embrassent cette tribu de jouvencelles folâtres tel un organisme unique et indivisible, une pieuvre agile à qui rien ne pourrait arriver de plus sérieux que de se trouver désarticulée, désolidarisée de ses membres.
Or, c’est précisément là la première vexation faite aux cinq sœurs lorsque, rentrant chez elles, leur grand-mère les arrache une à une aux autres pour les corriger d’une conduite jugée indécente. Cela avant que l’oncle, stricte incarnation à moustache du despotisme patriarcal, ne vienne à son retour sonner irrévocablement le terme du temps de l’innocence en les assignant à résidence dans une maison de famille qui vire à la fois au cloître pénitentiaire, au centre de dressage et à l’«usine à épouses» - puisqu’il s’agira désormais de dompter leurs ruades à la force de mariages arrangés.
Dès lors, toute la tension du récit se résume en la négociation des jeunes otages avec, non pas leurs aînés et une tradition avec lesquels le dialogue paraît irréconciliable, mais la demeure même qui, en même temps qu’elle est leur prison de plus en plus barricadée, se muera en l’instrument ambigu de leur émancipation. C’est là la plus belle idée d’un film souvent guetté par les conventions d’un certain cinéma d’auteur trop soucieux de ses débouchés festivaliers pour toujours s’embarrasser de nuances. Un horizon de standardisation qu’épaissit malgré elle la remarquable musique originale signée par l’Australien Warren Ellis, et dont Mustang ne se sauve presque chaque fois que par l’ardeur et l’allant qu’insufflent ses jeunes actrices à des plans transis de les accueillir si en beauté.