Avis de presse
Lasse Hallström aime la romance et possède un univers décalé et attachant ; le cinéaste revient avec ce nouveau film au titre étonnant, Des Saumons dans le désert, traduction plutôt approximative du titre original tiré d'un livre de Paul Torday, Salmon Fishing Yémen, Partie de pêche au Yémen. Le réalisateur suédois s'attache cette fois les services d' Ewan McGregor et Emily Blunt pour camper les premiers rôles de cette comédie britannique romantico-dramatique (?) au fort relent de sable chaud et de saumons frais.
Si le titre français se veut un tantinet racoleur, poisson et désert étant des mots intrinsèquement oxymoriques et a fortiori tape-à-l'oeil, le film, lui, n'est pas du tout de cet acabit. L'histoire est relativement simple mais assez insolite pour en soulever l'originalité. Un richissime Cheikh Yémenite passionné de pêche souhaite introduire des saumons dans son pays. L'homme fait appel à une chargée d'affaires légèrement névrosée, Harriet Chetwode-Talbot (Emily Blunt) et un scientifique spécialisé en pisciculture aussi farfelu que timide et coincé, le docteur Alfred Jones (Ewan McGregor).
D'abord réticent à se lancer dans le projet, estimant que c'est un caprice d'homme riche ne sachant que faire de son argent,Alfred est obligé d'accepter sous peine de se faire renvoyer (pouvoir de l'argent oblige la crise est passée par là),le tout sur fond de pressions gouvernementales qui souhaite rétablir de bonnes relations entre le Royaume-Uni et le Moyen-Orient.
A partir de ce postulat, Hallström tisse une oeuvre attachante qui tient sa force dans la profondeur psychologique de ses personnages plus que dans son scénario. Celui-ci souffre de moments de flottement et de certaines longueurs, notamment une longue exposition pour nous présenter tous les protagonistes dans leurs routines et leurs contextes.
En ce sens, le cinéaste n'est pas homme à miser sur une virtuosité de mise en scène ; optant pour la sobriété, les mouvements de caméra sont peu nombreux par exemple, Hallström livre une copie propre mais sans vraiment de partis pris personnels, ce qui empêche le film de s'élever plus haut que son ambition de gentillette (Ffff!!!) comédie romantique à l'anglaise.
Toutefois, la vraie force du film est donc dans ses personnages. Emily Blunt campe la pétulante Harriet, jeune fille à la fois sensible et enjouée. Sa personnalité contraste avec celle du docteur Alfred Jones, scientifique chevronné mais timide et maladroit, une sorte de mix entre le Jerry Lewis de Dr Jerry et Mister Love et le Dr Emmett Brown ( Christopher Lloyd) de Retour vers le futur.
McGregor excelle dans ce registre et forme, avec Emily Blunt, un duo attachant, drôle, piquant et complémentaire, la sensibilité exacerbée de l'une venant en aide au pragmatisme guindé de l'autre. Le couple rappelant étrangement celui formé par David Duchovny et Gillian Anderson dans la série TV X-Files, sauf que cette fois, les rôles sont inversés, la femme est ouverte et croit à l'impossible tandis que l'homme, enfermé dans son scepticisme scientifique refuse de tomber dans l'idéalisme à outrance et rejette toute idée de faisabilité du projet.
Cette idée de Foi donne place à des échanges savoureux entre Jones et le Cheikh, campé avec force et conviction par la star Egyptienne Amr Waked. A noter : la prestation absolument truculente de Kristin Scott Thomas dans le rôle de Bridget Maxwell, une spécialiste en communication garce, autoritaire, despotique et tranchante.Malheureusement trop peu présente à l'écran, l'actrice franco-britannique vaut tout de même à elle seule le visionnage du film tant son personnage se révèle un contrepoint formidable à l'intrigue principale apportant une touche comique et facétieuse indéniable.
Le scénariste Simon Beaufoy, déjà auteur de Slumdog Millionnaire et 127H pour Danny Boyle, continue encore dans ses thèmes concernant la Foi et l'abnégation et il faut dire que Des saumons dans le désert, bien que souffrant d'une certaine naïveté inhérente au genre ne sombre pas dans la guimauve à outrance Cependant, on voit que le cinéaste a fait attention de ne pas tomber dans les clichés moralisateurs mais n'a pas pu en éviter quelques-uns :
(l'amour triomphe toujours, l'homme est bon malgré tout, la Foi déplace des montagnes...), surtout dans la deuxième partie du film qui se passe au Yémen, cette lourdeur contrastant avec l'énergie communicative de la première partie. Le dépaysement sera d'ailleurs total pendant ce film qui nous entraine des luxuriants paysages des Highlands d'Ecosse avec ces lacs magnifiques aux déserts arides du Yémen mais néanmoins troublants de beauté.
Le Cheikh a dépensé 50 millions de dollars pour voir nager ses saumons à contre-courant, faut-il qu'il les aime ces créatures aquatiques pour adopter le précepte d'un certain Saint-Augustin, « la mesure de l'amour c'est d'aimer sans mesure."(De là à terminer par un "aimez-vous les uns les autres", il n'y a qu'un pas que même le film ne franchit pas.)
Par Henri Lot (06/06/2012 à 11h15)