J.C.B qui a ...euh...pas mal changé depuis
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Cinéclub de Caen
1/ un personnage entier, révolté et controversé
Né le 17 juillet 1944 à Paris. Se décrivant lui-même comme "le fils d'une femme de ménage qui a vécu dans un rêve de cinéma", Jean-Claude Brisseau ne se destine pas de suite à suivre une carrière de réalisateur. Il emprunte les chemins de l'enseignement en étant professeur de français pendant plus de vingt ans dans un collège de la banlieue parisienne, mais ses rêves de cinéma finissent par le rattraper et il mène en parallèle une carrière de cinéaste amateur. Sa rencontre avec le célèbre réalisateur et scénariste Eric Rohmer est déterminante : il travaille peu de temps après à l'INA (Institut national de l'audiovisuel) qui produit en 1978 son premier long métrage : La Vie comme ça, tout d'abord destiné à la télévision.
En 1983, Jean-Claude Brisseau entame sa première collaboration avec l'acteur Bruno Crémer, qu'il dirige dans le drame Un jeu brutal. Il le retrouve en 1988 pour le long métrage De bruit et de fureur, plongée violente dans la vie des banlieues mêlée à une composante surnaturelle, qui lui permet de recevoir un Prix spécial de la jeunesse au Festival de Cannes la même année.
L'une des particularités du cinéaste est d'utiliser des acteurs à l'image publique très forte afin de les détourner sur grand écran:en 1989 il s'emploie à transformer Vanessa Paradis à l'époque vue comme l'innocente interprète de Joe le taxi, en une adolescente psychologi quement fragile et amoureuse sensuelle de son professeur dans le drame Noce blanche. Puis L'Ange noir en 1994 met en scène Sylvie Vartan dans le rôle d'une femme fatale aux secrets diaboliques.
Après six ans d'absence, Jean-Claude Brisseau réalise un film intensement romanesque Les Savates du bon Dieu, qui ne trouve pas son public sans doute à cause du titre énigmatique et d'un renoncement au format scope qui aurait plus facilement mis en valeur le spaysages et l'action dramatique. En 2002, il revient avec Choses secrètes, à un drame dans le milieu des entreprises.
2-un cinéaste "naturaliste" majeur
Dans l'entretien qu'il a accordé aux Cahiers à la sortie de Choses secrètes (décembre 2002, n°574), Brisseau dénigre le naturalisme:
"De bruit et de fureur avait été critiqué pour les scènes d'apparitions surnaturelles. Certaines personnes qui aimaient la partie réaliste du film, décrochaient à ce moment. Moi, je l'ai toujours dit, je n'aurais jamais fait le film si je n'avais pu tourner ces scènes. Je n'avais absolument pas l'intention de faire un film naturaliste sur la banlieue. Dans Céline, je voulais aussi coller des éléments surréalistes pour traiter de phénomènes de contagion de sens."
Le naturalisme évoque probablement pour lui le misérabilisme social, l'apitoiement sur un constat social sans espoir. En sauvegardant le terme surréalisme et en s'appuyant sur les définitions de Gilles Deleuze, on pourra pourtant démontrer que les films de Brisseau relèvent bien du naturalisme. En effet, pour Deleuze :
"Le naturalisme ne s'oppose pas au réalisme, mais au contraire il en accentue les traits en les prolongeant dans un surréalisme particulier. Le naturalisme en littérature, c'est essentiellement Zola : c'est lui qui a l'idée de doubler les milieux réels avec des mondes originaires. Dans chacun de ses livres, il décrit un milieu précis, mais aussi il l'épuise et le rend au monde originaire : c'est de cette source supérieure que vient sa force de description réaliste. Le milieu réel, actuel, est le médium d'un monde qui se définit par un commencement radical, une fin absolue, une ligne de plus grande pente. (…) L'essentiel du naturalisme est dans l'image pulsion. 
Les pulsions sont souvent relativement simples, comme la pulsion de faim, les pulsions élémentaires, les pulsions sexuelles ou même la pulsion d'or dans LES RAPACES. Elles sont inséparables des comporte ments pervers qu'elles produisent cannibalisme, sadomasochisme, nécrophilie. (…) L'image naturaliste, l'image pulsion, a deux signes : les symptômes et les fétiches. Les symptômes sont la présence des mondes originaires dans le monde dérivé, et les fétiches, la représentation des morceaux arrachés au monde dérivé." (L'image mouvement, p. 174.)
Le cinéma de Brisseau s'inscrit toujours dans un contexte social assez marqué. Très évident dans ses premiers films, il l'est encore avec la bourgeoisie bordelaise de L'ange noir, les prolétaires sans espoir des Savates du bon Dieu ou de la vie des employés de bureaux dans Choses secrètes. Ce milieu social est donc le monde dérivé dans lequel vont intervenir les forces du monde originaire. Les symptômes, présence des mondes originaires dans le monde dérivé prennent souvent la forme d'images du paradis et de l'enfer.Ces images constituent la structure dramatique du film,sa ligne de plus grande pente vers l'anéantissement.
Noce Blanche propose aussi un paradis terrestre dans ce coteau fleuri surplombant une rivière où Vanessa Paradis (!) d'un délié serpentin du bras appelle Bruno Cremer. L'image finale de la mer figure un fleuve des enfers très convaincant dans lequel Cremer n'a plus qu'à s'exiler, chassé du monde dérivé de l'éducation nationale. De même dans Céline, l'enfer pourrait être cette scène au début du film où une adolescente pleure assise par terre, sous une pluie torrentielle et surtout sous le regard d'écoliers hilares. 
Dans L'Ange noir, ce pourrait être la jubilation des policiers devant le cadavre d'Alslanian. Dans Choses secrètes, il s'agit de la vision du père de Sandrine dans une sorte de paradis terrestre plein de fleurs et comme au dessus du monde. Quant aux fétiches se sont les parties du corps des femmes, leur ventre nu, leur chevelure, leur regard de braise, subliment mis en scène. Ces fétiches que les hommes adorent  renvoient aux scènes d'amours collectif de L'Ange noir et de Choses secrètes.
Symptômes des mondes originaires et fétiches présents dans les mondes dérivés sont soulignés par Brisseau dans l'emploi d'une musique volontiers lyrique et des éclairages très élaborés qu'il aime à travailler comme des clichés.Cette révélation  des mondes originaires enfouis que nous nions en restant dans le pur constat social, Brisseau la veut la plus universelle possible et c'est pourquoi elle prend chez lui la forme d'un cliché, image hyper esthétisante d'une réalité simple. Ainsi Brisseau affirme-t-il :
"Ce désir de simplicité m'a même conduit à utiliser des éléments que certains pourront dire "clichés" comme l'ombre sombre dans le couloir, qui représente moins la mort elle-même que l'angoisse de la mort. Ce sont des figures que l'on retrouve partout, ne serait-ce que dans le Septième sceau, qui son très fortes dans l'inconscient collectif. .. Ca me plait de les utiliser parce qu'elles renvoient - à condition de rompre les barrières de défense- à des choses universelles "(CdC n°454, avril 1992 p.17).
 
3-Reveillez-vous, les morts
Abandonnant la vision sociale sans concessions de ses premiers films, Brisseau a développé des métaphores de plus en plus élaborées et violentes qui détacheront de lui une bonne partie de la critique. Télérama notamment acceptait le cheminement tragique de ses personnages lorsqu'il était sous-tendu par des explications sociales psychanalytiques ou mystiques qui le rapprochait alors de Rohmer ou de Bresson. Il n'en va plus de même lorsque ses coups de forces esthétiques révèlent la désespérance des personnages et le tragique de leur existence.
Le constat social et humain de Brisseau peut ainsi souvent paraître extrêmement noir. L'homme et la femme n'ont qu'un destin,celui de la jouissance inassouvie fantasmée plus souvent que vécue et même les pensées vigoureuses de Freud, Nietzsche ou de la philosophie orientale convoquées dans Noce blanche n'arrivent pas à éclaircir le propos. Et pourtant en révélant la vanité des comportements sociaux et l'hypocrisie et solutions sociales pour en appeler aux forces profondes et pulsionnelles qui agitent l'être humain, Brisseau rejoint la démarche des grands cinéastes naturalistes que sont Bunuel (Los Olvidados, Viridiana, Le journal d'une femme de chambre…), Stroheim (Queen Kelly) ou Fassbinder.
Brisseau ne cesse de répéter qu'il y a bien lutte des classes ("je suis marxiste") et lutte avec le mal ("je suis chrétien"… donc le monde originaire existe). Il en fait la preuve dans ses films qui luttent dans tous leurs instants pour maintenir les deux esthétiques, celle du monde dérivé où s'affrontent les classes sociales et celle du monde originaire ou s'affrontent le bien et le mal.
Deleuze analyse les stratégies d'attaque possible du monde originaire et distingue la stratégie d'entropie chez Stroheim, celle de la répétition chez Bunuel (plus optimiste car la répétition donne parfois une chance de salut) et celle du retournement contre soi de Losey. Brisseau nous met en garde contre une autre pulsion, plus moderne, celle du sommeil et de l'engourdissement esthétique et social, qui vise à faire oublier le domaine de la lutte.
 
 
Filmographie Réalisateur
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1975 LA CROISÉE DES CHEMINS
1983 UN JEU BRUTAL
1988 DE BRUIT ET DE FUREUR
1989 NOCE BLANCHE
1992 CÉLINE
1994 L'ANGE NOIR
2000 LES SAVATES DU BON DIEU
2001 CHOSES SECRÈTES
2005 LES ANGES EXTERMINATEURS
2007 À L'AVENTURE
2012 LA FILLE DE NULLE PART (intéressant)
 
Filmographie Scénariste
1975 LA CROISÉE DES CHEMINS de Jean-Claude Brisseau
1983 UN JEU BRUTAL de Jean-Claude Brisseau
1988 DE BRUIT ET DE FUREUR de Jean-Claude Brisseau
1989 NOCE BLANCHE de Jean-Claude Brisseau
1992 CÉLINE de Jean-Claude Brisseau
1994 L'ANGE NOIR de Jean-Claude Brisseau
2000 LES SAVATES DU BON DIEU de Jean-Claude Brisseau
2001 CHOSES SECRÈTES de Jean-Claude Brisseau
2005 LES ANGES EXTERMINATEURS de Jean-Claude Brisseau
2007 À L'AVENTURE de Jean-Claude Brisseau
2012 LA FILLE DE NULLE PART de Jean-Claude Brisseau
 
Filmographie Acteur
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1983 UN JEU BRUTAL de Jean-Claude Brisseau
1986 4 AVENTURES DE REINETTE ET MIRABELLE de Eric Rohmer
1994 L'ANGE NOIR de Jean-Claude Brisseau
2001 CHOSES SECRÈTES de Jean-Claude Brisseau
2012 LA FILLE DE NULLE PART de Jean-Claude Brisseau
Bibliographie : Cahiers du Cinéma :
Choses secrètes : juin 2003 (n°580, p.6), octobre 2002 (572 p.52, p.78)
L'Ange noir :novembre 1994 (n°485, p. 18)
Céline : avril 1992 (n°454, p14, entretien p.17)
Noce blanche 425
De bruit et de fureur : 407/8
Un jeu brutal : octobre 1983 (n°352, )
Les ombres : mai 1982 (n°336 p. IX)