La critique de Guillaume Gas (ABUS DE CINE)
On a sans doute eu tendance à labelliser un peu trop vite Andrea Arnold après les excellents "Red Road" et "Fish Tank" : loin d’une énième émule de Ken Loach ou d’un travail de réflexion sur un contexte sociopolitique précis, la réalisatrice s’en tient avant tout à explorer ce genre de contexte par le biais de la fiction et à laisser tout jugement moral au placard. "American Honey", son premier film tourné aux Etats-Unis, nous permet déjà d’oublier le semi-échec de son adaptation des "Hauts de Hurlevent" et de la retrouver sur un terrain qu’elle maîtrise, à savoir la peinture d’êtres lancés dans leur obsession sans prudence ni protection.
Son idée d’investir le milieu des jeunes vendeurs de porte-à-porte offre déjà un repère sociologique : une jeunesse sans cesse en mouvement, sans domicile fixe, et qui, sous couvert d’un tempérament assez « hippie » (sexe, drogue, musique…),devient malgré elle un énième vecteur du libéralisme sous l’effet des sociétés non réglementées qui les engagent. Ou comment le miel libertaire de la jeunesse finit par rentrer dans la ruche du système.
L’angle choisi par Andrea Arnold se révèle être le bon : l’activité qu’elle filme tient davantage du mode de vie que du travail lucratif, et tout ce petit groupuscule, au fil des rencontres effectuées (familles établies, cowboys milliardaires, camionneurs louches, etc.) et des motels miteux où ils résident aléatoirement, en arrive à adopter l’état d’esprit d’un groupuscule plus ou moins inquiétant, où le recours à la combine implique aussi celui à la force brute.
La réalisatrice se plait donc à superposer deux idées pendant tout le film : d’une part un désir de liberté qui sonne chez l’héroïne (excellente Sasha Lake) comme un moyen de quitter l’adolescence, d’autre part une perte d’innocence qui rejoint en définitive le tableau d’une fuite en avant dans la délinquance (le vol et la menace au revolver sont assez courants dans l’équipe).
Cela dit, elle fait néanmoins davantage d’étincelles lorsqu’elle se focalise sur l’histoire d’amour toxique entre l’héroïne et le meilleur vendeur de la bande (un Shia LaBeouf de plus en plus remarquable à chaque film), ainsi que sur la vénéneuse patronne de l’équipe (Riley Keough, vêtue à un moment d’un bikini aux couleurs du drapeau sudiste !).Entre passion de l’inconnu et soumission aux règles du groupe, le film effectue un remarquable mouvement de balancier, le tout sous l’effet d’une mise en scène crue et énergique en caméra portée qui rappelle avec bonheur les premiers films de Larry Clark.
On pourra certes juger le film un peu trop long (2h38 !) ou considérer que le scénario s’essouffle un peu dans son dernier tiers, mais pour un road-trip exalté qui assume sa logique sans savoir de quoi demain sera fait, ce voyage en van sur fond d’une BO d’enfer vaut franchement la peine d’être vécu. Présenté à Cannes 2016, le long métrage d’Andrea Arnold a reçu le prix du jury !