LE MONDE / L'oeil sur l'écran
*
A Shanghai, une jeune femme échappe à la police grâce à l'intervention d'un étrange Dr Omar. Il l'emmène dans une salle de jeux tenue par Mother Gin Sling où il travaille…
The Shanghai Gesture est le premier film vraiment réalisé par Josef von Sternberg depuis 1935.Le film est adapté d'une pièce de John Colton qui avait connu un grand succès à Broadway dans les années vingt. C'est un sujet parfait pour Sternberg qui peut revenir ainsi à cet exotisme sensuel qu'il sait si bien mettre en scène.
*
L'atmosphère est très forte, énigmatique, ambigüe, avec de constantes allusions à une certaine dépravation et une corruption que l'affairisme des occidentaux ne fait qu'amplifier. Cette atmosphère est rendu encore plus forte par la mise en scène de Sternberg toujours très inventif dans le placement de sa caméra ou dans ses angles de prises de vue (quel plan que celui où l'on découvre la salle de casino au début du film !*) Et ses gros plans sont fabuleux.
* Ouais...ben moi j'ai épluché plus d'1 million d'images et je n'ai trouvé que 3 photos merdiques complêtement floues...du plan en question.
Car l'autre atout de The Shanghai Gesture, c'est le casting. Agée de 20 ans, Gene Tierney est d'une beauté à couper le souffle qui contribue à distiller un érotisme, subtil certes mais puissant.Autour d'elle, les personnages sont énigmatiques à souhait.Bien qu'elle ne soit pas présente le film semble marqué par Marlene Dietrich : le personnage d'Omar, joué par Victor Mature, est le pendant masculin des femmes fatales que Marlene personnifiait avec tant de classe.
Le personnage de Mother Gin Sling, avec son extravagante coiffure et sa présence altière, semble être taillé sur mesure pour Marlene Dietrich.(?..ben non c'est Ona Munson et je trouve qu'elle assure grave) Les décors style art-déco sont merveilleux. Sur le fond du propos, le film s'attaque plus au pouvoir de l'argent qu'à la société chinoise . Probablement trop subtil et ambigu pour le public américain de l'époque, The Shanghai Gesture n'eut aucun succès à sa sortie et les critiques furent très mauvaises . La carrière de Josef von Sternberg fut hélas à nouveau stoppée, il ne tournera son film suivant que dix ans plus tard. Dans les années cinquante, le film sera mieux considéré, essentiellement en France et en Europe. A juste titre... car The Shanghai Gesture est une merveille.
Remarques :
*
* On peut se demander comment un film comme The Shanghai Gesture a pu passer le cap de censure. Avec toute cette dépravation exotique, l'érotisme sous-jacent, la drogue (certes non montrée), les femmes en cages vendues aux marins, le film aurait du être refusé mille fois.D'ailleurs, avant le film de Sternberg, Will Hays et le Production Code auraient refusé pas moins de 30 projets d'adaptation de la pièce de John Colton !
* Les costumes de Gene Tierney ont été dessinés par le français Oleg Cassini, alors son mari depuis seulement quelques semaines, que l'actrice avait réussi à faire engager.
La Chine a émis une protestation à l'époque. Un avertissement en début de film a été placé pour préciser que le film n'avait rien à voir avec la réalité... Mais en fait, c'est plutôt la société américaine qui est visée, la société de l'argent ; cela pourrait d'ailleurs expliquer le mauvais accueil du film aux Etats-Unis.
Il faut toutefois tenir compte du fait que le film est sorti 15 jours après Pearl Harbour ; l'exotisme oriental ne faisait plus beaucoup rêver alors. Mais, encore aujourd'hui, le film semble moins plaire aux cinéphiles américains qu'européens.