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Extraits de la 2e INTERVIEW (2012)
"Retour de manivelle", première collaboration avec Audiard (1957)
- En 1957, vous adaptez un roman de Hadley Chase, un auteur en vogue à la fin des années 1950, pour votre film "Retour de manivelle". C'est la première fois que vous employez Bernard Blier… Le connaissiez-vous auparavant ?
- Oui, j'ai dû le rencontrer avant lorsque j'étais assistant, mais c'est pour ce film que je l'ai appelé pour la première fois. Bernard était un bon copain, nous avons beaucoup travaillé ensemble, notamment dans des films avec Jean Gabin. Il était aussi un bon vivant, qui connaissait les bonnes adresses pour déjeuner.
- Il s'agit également de votre première collaboration avec Michel Audiard qui, 26 ans après sa disparition, reste encore le dialoguiste le plus populaire. Comment l'avez-vous rencontré ?
- "Retour de manivelle" était produit par Jean-Paul Guibert, un jeune producteur qui a aussi produit " Les Grandes familles " un peu après. Il se trouve que Michel Audiard était le beau-frère de Guibert. J'avais déjeuné avec lui, plusieurs années auparavant, chez l'une de mes cousines. L'un de mes cousins était copain avec Michel, ils travaillaient tous les deux comme journalistes chez un quotidien qui n'a pas duré très longtemps, qui s'appelait "L'Etoile du soir". Ma cousine m'avait dit : "toi qui veux travailler dans le cinéma, tu devrais rencontrer cet homme, c'est un journaliste mais il écrit pour le cinéma, il faut que vous vous connaissiez." C'est ainsi que j'ai rencontré Michel Audiard. Nous nous sommes retrouvés lorsque Guibert a produit mon film et, par la suite, nous avons beaucoup travaillé ensemble.
- Pouvez-vous évoquer votre collaboration ?Sur quels critères choisissiez-vous un livre à adapter ?Comment se déroulait l'écriture du film, tant l'adaptation que le dialogue ?
- La genèse d'un film est très variable. L'idée de départ peut venir d'un acteur qui a envie de tourner une histoire, du metteur en scène qui a aimé un livre, ou d'un producteur qui en a acheté les droits d'adaptation. En l'occurrence, pour "Retour de Manivelle", c'est Guibert qui avait acheté les droits du roman d'Hadley Chase après en avoir parlé à son beau-frère. C'est à ce moment-là que le producteur m'a contacté pour que je réalise le film. Avec Michel, nous travaillions à l'adaptation en quatre ou cinq semaines, ce qui était assez rapide. Je me chargeais de la construction des scènes, en lui fournissant l'amorce et le but de chaque scène, et en lui précisant ce qui devait être dit par les acteurs. C'est en se basant sur ce travail qu'il pouvait alors écrire les dialogues. Michel n'aimait pas travailler sur les constructions, ce n'était pas son truc. D'ailleurs, pour les films qu'il a réalisés, il les a faites n'importe comment (rires).
- Effectivement, ses films démontrent qu'il ne disposait pas d'une technique solide…
- En réalité, la technique l'emmerdait mais il est passé à la réalisation parce qu'il en avait assez de partager le pognon avec d'autres. C'est vrai que les films qu'il dialoguait alors se montaient sur son nom. Il s'est dit qu'en assurant la mise en scène de ses films, il pourrait prendre tout l'oseille. Michel gagnait énormément d'argent mais en dépensait davantage.
- On a dit qu'il pouvait être parfois assez fainéant, est-ce exact ?
- Non c'est faux, c'est une légende qu'il a entretenue. Il laissait courir cette idée et disait même que ses dialogues lui arrivaient facilement. En réalité, il les travaillait beaucoup mais il ne voulait pas qu'on le dise. Je me rendais de bonne heure en voiture chez lui, à Dourdan. On commençait à huit heures à écrire une scène, jusqu'à treize heures ou treize heures trente. On déjeunait puis on faisait la sieste. L'après-midi, on n'écrivait plus mais on discutait tous les deux de la scène du lendemain.
- La légende raconte que c'est sur le plateau de tournage que vous avez rencontré Michèle Mercier, qui assistait au tournage comme spectatrice.
- Oui je crois bien, j'ai repéré Michèle aux studios de la Victorine, à Nice, où nous tournions. Un peu plus tard, nous avons fait ensemble "Le Tonnerre de Dieu" avec Gabin.
- Quel regard portez-vous sur le cinéma actuel français ?
- Je n'ai jamais demandé des millions à un producteur pour des élucubrations personnelles et pour des films qui n'intéresseront personne. Malheureusement, cela concerne la moitié des films que l'on fait aujourd'hui. Lorsque j'étais au jury des Césars, je recevais la fameuse valise comprenant plus d'une centaine de films réalisés dans l'année. Pour certains d'entre eux, je me demandais comment on était parvenu à faire un film, tant il n'y avait rien à voir.
- La majorité de vos films sont aujourd'hui parus en DVD, c'est une bonne nouvelle non ?
- Oui, c'est très bien, je trouve ça marrant. Mais ce qui me fait plaisir, c'est qu'un film qui me tient à cœur comme "Un Taxi pour Tobrouk", et qui a cinquante ans, a marqué les esprits. Les gens s'en souviennent et m'en parlent encore, et les nouvelles générations le découvrent. C'est chouette et c'est ce qui compte. Les critiques qu'on retrouve dans les archives, ce n'est pas important. Les vraies archives, c'est ce qu'on trouve dans la tête des spectateurs. Et c'est plus difficile à obtenir qu'un bon papier dans la presse. Pour avoir une bonne critique, il faut faire un certain genre de film, très à la mode. Je n'étais pas bien vu des critiques car j'étais un artisan du spectacle. Lorsque je faisais un film, je faisais un spectacle destiné à être vu par le public, c'était ma première préoccupation et ma seule ambition. C'est une question d'honnêteté à l'égard de ceux qui financent le film et de ceux qui le verront.
- Merci beaucoup à vous, cher Monsieur de La Patellière, d'avoir répondu à nos questions.
- Je vous en prie, merci à vous.