La critique d'Avoir à lire(3)
Le grand plaisir du film réside évidemment dans la peinture d’extravagants doux-dingues qui se retranchent de la société pour vivre leur passion à la manière d’enfants qui «joueraient à être ». Le principe de base, et c’est sans doute aujourd’hui le plus iconoclaste, est le refus de l’utilitaire ; en ce sens, on retrouve l’enfance dans l’opposition entre le principe de réalité (la banque, les armes, la productivité) et le principe de plaisir (la danse, les jouets, les fléchettes). Capra a pris soin de ne pas viser des génies méconnus : la mère semble écrire des suites de clichés et la fille n’avoir qu’un lointain rapport avec des gestes harmonieux.
Qu’importe : ces êtres sont dans l’instant, dans l’ « amusement »(le mot revient plusieurs fois) et songent peu à faire fructifier leurs hobbies. Là encore le cinéaste ne va pas trop loin : pas d’appel à la révolution ou au communisme ( le chorégraphe russe rappelle que tous ses amis sont morts) et si la solidarité joue à plein à plusieurs reprises, quand Alice s’enfuit, la famille est prête à vendre sa maison et à laisser tomber le voisinage expulsé. Plus qu’un message politique, c’est une sorte de morale égoïste qui se dégage du film : il faut refuser la routine, savoir faire demi-tour : le grand-père a simplement un jour cessé de travailler comme le fera Kirby, dans un ascenseur.
Si Capra semble condamner le capitalisme dans ce qu’il a d’aliénant, on apprend au détour d’un dialogue que le personnage interprété par Lionel Barrymore vit de son expertise dans la philatélie. Vivre à côté soit, mais sans rejeter le système, ou les aides dont parle le Noir.