La critique d'Avoir à lire (1)
Capra est touché par la grâce dans ce chef-d’œuvre tendre, drôle et gentiment iconoclaste.
L'argument : Après avoir fait fortune, le vieux Vanderhof est devenu un sage en pensant que l’argent ne fait pas le bonheur. Il vit entouré de ses petits-enfants et de ses domestiques, pour le moins originaux. Mais voila que sa petite-fille Alice tombe amoureuse de Tony Kirby, le fils d’un homme d’affaires. Si Alice et Tony s’aiment, ce n’est pas le cas des Vanderhof et des Kirby, qui n’ont pas réellement la même conception de la vie.
Notre avis : Vous ne l’emporterez pas avec vous vient dans la carrière de Capra après New York-Miami (1934), L’extravagant monsieur Deeds (1936) et Horizons perdus (1937), autant dire dans cette faste période d’avant-guerre qui le voit enchaîner les chefs-d’œuvre à la manière d’un métronome. Il y aurait pourtant matière à détester ce film à la morale simpliste (l’argent ne fait pas le bonheur) et emprunt d’une religiosité écœurante. On se sentirait tellement supérieur à regarder d’un œil cynique cette fable si naïve. De fait, quand on la revoit une ixième fois, dès les premières images dévoilant un Wall Street caricatural, on se dit que non, ce coup-ci, on ne se fera pas avoir.
On se prépare à analyser froidement le rapprochement de ces deux mondes, d’un côté la finance et de l’autre une famille d’hurluberlus, sans tomber dans le piège d’un sentimentalisme facile. Mais rien n’y fait. De nouveau, on rit, on pleure, on partage les déboires d’un James Stewart amoureux de la belle Jean Arthur, la douce philosophie de l’épatant Lionel Barrymore. De nouveau on s’amuse des inventions burlesques comme le panneau « Home sweet home » qui ne cesse de se décrocher au rythme des explosions de pétards. De nouveau on larmoie devant la prise de conscience du capitaliste Kirby.
Comment comprendre cet attrait irrésistible ? Quand tant de comédies des années 30 ont l’air au mieux de pièces de musée, qu’est-ce qui fait que Vous ne l’emporterez pas avec vous demeure une inébranlable leçon de vie qui regonfle et rend heureux ? On a envie de parler d’alchimie, de mystère et de s’en tenir là. Néanmoins, c’est un peu court. Il nous semble d’abord que Capra, en éloignant tout second degré et toute roublardise, convainc par une foi en l’homme par delà les institutions (voir la critique du militarisme, des impôts, du gouvernement, de la finance) et les idéologies : Vanderhof se moque de la maladie des « -ismes » et la révolution russe est un sujet de plaisanterie.
Prenant parti pour l’humain, il filme à sa hauteur des personnages croqués avec une facilité déconcertante ; le moindre petit rôle trouve une grâce inattendue, portée par un scénario inventif autant que par une galerie d’acteurs remarquables : que ce soit Donald Meek en employé créateur de jouets ou Mary Forbes en grande dame coincée, tous participent d’une vision colorée, incroyablement vivante. Observez comment, dans l’inénarrable séquence du procès, Capra fait du juge, rôle archi-secondaire, le parangon d’un humanisme doux, qui le conduit même à participer à la quête. Par touches légères, le cinéaste construit un monde pétri de bons sentiments qui touche par delà les années.