L'ENTRETIEN
1 - NOGENT, LES EXPRESSIONNISTES ET LES IMPRESSIONISTES
Marcel Carné
...Mais à propos de Nogent, vous savez pourquoi j'ai fait ce film ? C'est parce que je voulais... J'étais critique, et un jour j'étais fatigué, exaspéré de gagner ma vie du travail des autres. Et je me suis demandé si j'étais capable de faire quelque chose dans le cinéma. Il n'y avait pas d'autres solutions alors que d'acheter un petit appareil pas très cher. Le tout m'a coûté 9 000 francs. Et j'avais pensé quand j'étais un peu plus jeune que c'était vraiment un spectacle très curieux et très beau.
Ces centaines de milliers de gens qui quittaient Paris le dimanche qui s'en allaient dans les banlieues, danser dans les guinguettes au bord de l'eau, faire de la nage, de l'aviron et j'ai pensé à faire ça. Et ce n'est que beaucoup plus tard que j'ai réalisé que finalement j'avais subi l'influence des Impressionnistes et de Monet, de Renoir, de Sisley !! Et finalement les guinguettes de Nogent c'est un peu l'équivalent de la Grenouillère de Maupassant laquelle a été peinte par plusieurs impressionnistes. Mais ce n'est que beaucoup plus tard que je me suis rendu compte de ça.
Question :
Mais la structure même du film, c'est une variante sur « Berlin, symphonie d'une grande ville » de Walter Ruttmann non ? c'est un peu l'inverse où l'on quitte la ville et on montre les gens durant la journée ?
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M.C
Ça je n'ai pas du tout été influencé par Ruttmann. Si je l'avais été, ça aurait été plutôt par Rien que les Heures de Cavalcanti... Alors, je l'ai d'abord fait pour moi pour savoir si j'étais capable de faire quelque chose. Je l'ai fait de A jusqu'à Z puisque j'ai imaginé l'histoire, j'ai pris moi-même le cadre, j'ai fait moi- même le montage et puis un jour il me l'a été demandé par des gens qui tenaient le Studio des Ursulines, qui était l'une des rares salles d'art et essai, c'était la plus connue, ils avaient ouvert avec La Rue sans joie.
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Et à ma grande stupéfaction, ils l'ont diffusé avec un film américain qui s'appelait La Rafle de Josef von Sternberg avec George Bancroft. Et le film a eu une presse extraordinaire. Il y a même Alexandre Arnoux qui dans les Nouvelles Littéraires a écrit « Ou je me trompe ou nous tenons un homme de grande classe. » Le film a très bien marché et René Clair l'a vu et il m'a engagé comme 2°assistant dans Sous les toits de Paris.