A bord du remorqueur le Cyclone, le capitaine André Laurent risque sa vie tous les jours, pour sauver celle des autres. Il est marié à Yvonne, qui souhaite qu'il quitte ce métier. Celle-ci lui cache sa grave maladie. Le capitaine Laurent, doit quitter précipitamment la noce d'un de ses marins pour porter secours au cargo Mirva, laissant sa femme Yvonne et la mariée. Le sauvetage, après quelques péripéties, va réussir et les passagers sont secourus. Au matin, le Cyclone remorque le Mirva. André tombe amoureux de Catherine, la femme du capitaine renégat du Mirva et elle va devenir sa maîtresse. André s'apprête à quitter sa femme...
Le film Remorques est adapté du roman éponyme de Roger Vercel, sorti en 1935. Après un premier projet d'adaptation, signé Roger Vercel lui-même, et l'intervention des scénaristes Charles Spaak et André Cayatte qui ne satisfont pas complètement Jean Grémillon et Jean Gabin, Jacques Prévert est appelé à la rescousse[1]. Jacques Prévert modifie alors le scénario et écrit également les dialogues.
Tournage
Le tournage du film débute à Brest et à Guissény sur la plage du Vougot enjuillet1939 pour une quinzaine de jours d’extérieurs[2]. Pour ces scènes en extérieur, Michèle Morgan, retenue par le tournage d'un autre film, Les Musiciens du ciel de Georges Lacombe[3], ne peut se libérer que trois jours, juste le temps de tourner la scène centrale du film, sur la plage du Vougot[2]. De retour à Paris, l’équipe reprend le travail le11août1939 aux studios de Billancourt pour les scènes d'intérieur[2]. Le tournage est très vite interrompu le 3septembre1939 en raison de l'entrée en guerre de la France[1] et de la mobilisation de Gabin et Grémillon[2].
Le tournage d'un film de mer et de marins est souvent un cauchemar pour les producteurs et le réalisateur, Remorques n'échappera pas à la loi du genre: La production a pris le gros risque financier d'affréter un vrai remorqueur de haute mer et un cargo, mais la météo (exceptionnellement clémente alors que le scénario prévoit des scènes de tempête) , puis la défaite de 1940 et le bombardement de Brest compliquent gravement la situation.
Finalement, les plans larges du remorqueur en pleine tempête sont réalisés à l'aide de maquettes aux studios de Billancourt, alors que les plans des hommes embraquant la remorque sur la plage arrière sont bien filmés à bord d'un vrai navire...mais par un temps plutôt clément. Ceci peut interpeller un spectateur averti mais ne nuit pas vraiment à la crédibilité du film auprès du public moyen.
En avril1940 , le tournage reprend brièvement après la Blitzkrieg, pour vingt-cinq jours, grâce à une permission exceptionnelle accordée à Gabin et Grémillon, ainsi qu'à d'autres membres de l'équipe[2]. Celui-ci est de nouveau interrompu en juin1940 avec le début de l'occupation[1]. Faute de temps, certaines scènes ne seront pas réalisées, imposant des ellipses dans le montage[2]. Quand les Allemands sont sur le point d'entrer dans Paris, le producteur Joseph Lucachevitch s'embarque pour les États-Unis. Louis Daquin, l’assistant réalisateur, et le monteur Marcel Cravenne emportent les bobines pour les mettre en lieu sûr dans le Midi de la France[2].
Le tournage se termine finalement dans les studios de Boulogne durant le printemps et l'été 1941, quand Jean Grémillon est démobilisé[1],[2]. Entretemps, Michèle Morgan, puis Jean Gabin ont eux aussi rejoint les États-Unis[2]. Leur présence n'est heureusement pas indispensable aux quelques scènes restant à tourner. La dernière image est enregistrée le 2septembre1941[2]. Jean Grémillon, qui a pu récupérer les bobines dispersées lors de la débâcle (à Marseille, Pau et Billancourt[3]), a déjà entrepris le montage[2].Le film sort en salle le 27novembre1941[2].
Autour du film
Le film Remorques rend hommage aux capitaines de remorqueurs, particulièrement ancrés dans la vie brestoise depuis le commandant Louis Malbert[1] qui fut, avec le remorqueur Iroise, le précurseur du sauvetage et de l'assistance en haute-mer[4]. Les exploits du remorqueur Iroise et de son équipage inspirèrent Roger Vercel pour son roman Remorques[4]. La tradition brestoise de sauvetage et d'assistance en mer est actuellement perpétuée par le remorqueur Abeille Bourbon.
Le sujet traite d'une question qui est récurrente chez Prévert : comment parvenir à faire durer l’amour fou ? À la suite de ce film, Prévert a dit : « Grémillon faisait des films tragiques, mais lui, il était très drôle. Il aimait vraiment le cinéma. C'était un des rares à avoir du style. Après Remorques, je me suis fâché : il avait mis de la musique religieuse à la fin. Je ne voulais plus travailler avec lui. Et puis on a tout de même fait ensemble Lumière d’été »[5].
Selon, Gilbert Le Traon, directeur de la Cinémathèque de Bretagne : « Le film met en valeur la rade et ce caractère maritime brestois. Le personnage de Gabin a les traits, le tempérament du Breton, taciturne, fermé »[1]. Gilbert Le Traon a également dit : « Le compositeur, Roland-Manuel, qui a signé la musique du film, y a mixé le son de la sirène du remorqueur, qui hurle comme une bête gigantesque. Il y a, pour moi, un rappel évident à la mythologie et à la tragédie grecques avec, en toile de fond, un homme seul face à son destin »[1].
Une scène du film, devenue culte, montre Jean Gabin descendant les escaliers du cours Dajot à Brest, seul dans la nuit, dans le vent et sous la pluie. Une scène qu'il a d'ailleurs fallu recommencer une dizaine de fois, en raison de conditions météorologiques très peu coopératives en ce jour de juillet1939[1]. La pluie provenait en effet de canons à eau des pompiers et c'est un avion à hélices de l'Aéro-club de Guipavas, amputé de ses ailes, qui pallia ce soir-là l'absence de vent[1].
Bande sonore du film: Jean Grémillon, qui était un musicien talentueux, a parfois composé lui-même les musiques de ses films et était très attentif à l'ambiance sonore . Dans Remorques, la séquence de l'appareillage du Cyclone en pleine tempête est accompagnée d'une musique obsédante et syncopée dans laquelle viennent se mêler le bruit des paquets de mer et les chocs métalliques de la machine du remorqueur. C'est une expérience formelle qui rappelle un peu les tentatives des futuristes ou d'Arthur Honnegger (Pacific 231, qui tente de combiner une symphonie avec le bruit d'une locomotive)...on peut y voir une sorte de "sampling" avant la lettre.
Citation
Allocution du Docteur Maulette pour les noces de Poubennec : « Un mariage de marin, ce n'est pas un mariage comme les autres, car, comme l'a dit le poète, chaque marin a deux femmes, la sienne et puis la mer, mais, mesdames, ne soyez pas jalouses, la mer n'est pas méchante, même quand elle est mauvaise, et tant qu'ils sont avec elle, vos maris vous restent fidèles »[3].