L'Analyse de CRITIKAT (suite)
Comme suspendu, le temps qui est la clef de la réussite, grâce à la patience et l’effort, façonne cet univers d’hommes d’honneur, en marge des règles de l’Institution judiciaire. Pour réussir, il leur faut maintenir dans le temps la solidarité et la confiance. Même celui qui a renoncé à s’enfuir pour préserver sa mère participe au labeur collectif. Grâce à l’effort de tous, les hommes sont tout près d’accéder à la liberté. « C’est bon d’être ensemble », s’émerveille ainsi Gaspard, le nouveau venu à qui les quatre autres ont accordé leur confiance. Une nuit, le tunnel terminé, la voie est libre, l’accès à la rue de Paris est possible. Les hommes s’en assurent. Mais il convient de demeurer solidaire. Deux hommes, plutôt que de s’enfuir, préfèrent retrouver leurs camarades. La liberté sera offerte à tous ceux qui la veulent, ou à personne. Car comme dans toute aventure humaine, la Liberté a un prix. La recouvrer, ou parvenir jusqu’à elle, c’est conserver l’intégrité, ne pas déchoir, ne pas fauter contre le groupe, la solidarité qui le fonde, l’amitié qui le transcende. Alors qu’ils sont maintenant prêts à s’enfuir, les gardiens interviennent. La trahison a fait son œuvre.
Mais la morale n’est pas sauve à cause de l’échec du projet d’évasion des prisonniers. Ce qui consomme l’échec de la tentative d’évasion, c’est l’égoïsme de l’un des détenus qui a choisi de trahir. Pour le bénéfice d’une sortie prochaine, il a rompu le « pacte » de la solidarité et de l’amitié partagées. Sans doute aurait-il pu garder le silence et choisir lui aussi de ne pas partir. Mais il a parlé au directeur de la prison et a ainsi sacrifié l’esprit du groupe à son intérêt personnel. « Pauvre Gaspard », jette l’un des détenus à l’endroit du traître auquel il ne reste que remords et pitié. Jacques Becker a explicité la dimension « fraternelle », sinon « spirituelle », de son film. « Le problème humain, les rapports entre individus condamnés à vivre ensemble, c’est l’histoire de Judas. Ce qui est passionnant, c’est de voir comment cette entreprise très adroite a été réduite à néant par quelqu’un qui s’est comporté comme Judas, qui participe jusqu’au bout et finalement trahit. Il y a dans ce type un côté maudit ». Bien loin d’un encouragement à l’évasion, voire d’une apologie de gangsters, Le Trou est donc avant tout, et comme tous les grands films « noirs » américains, une œuvre qui aboutit à la Chute.