L'Analyse de CRITIKAT (suite)
Le film a largement bénéficié du concours de José Giovanni. Ce dernier témoigne alors à sa manière des années qui ont suivi la Libération. Bon nombre d’hommes et de femmes ont connu la prison ou l’emprisonnement, pour des motifs honorables, car ils ont été hors-la-loi comme résistants. Mêlé à la Résistance, José Giovanni n’est entré en prison qu’à la Libération à cause d’une sombre affaire, d’argent et de meurtre, qui aboutit à sa condamnation à mort. L’obstination de son père à le faire libérer n’a pas peu compté dans sa survie. Avec les conseils de José Giovanni, le film a sans doute beaucoup gagné en authenticité.
La méticulosité du réalisateur pour chaque détail trouve alors son plein emploi. Car, comme l’écrit Pierre Billard, « la façon de crocheter, desceller ou gratter tel élément de serrure, barreau de fer ou cloison de plâtre prend, pour des candidats à l’évasion enfermés dans une cellule, une importance vitale ». De la sorte, Le Trou témoigne d’un ascétisme de la mise en scène. Dans une approche « naturaliste », Jacques Becker a privilégié les gros plans et les cadrages qui accentuent, avec son étroitesse, l’aspect étouffant de la cellule. Le monde du dehors, celui de la prison et, plus encore, de la Cité des hommes, demeure constamment « hors champ ». Suggéré par la livraison des colis ou les visites aux prisonniers, le « dehors » est à peine entrevu le soir où le tunnel est achevé. Dans ce huis-clos, la trame sonore est volontairement minimaliste. Plutôt que de la musique, Jacques Becker a préféré laisser entendre aux spectateurs le concert des sons assourdis de la prison.
Dans la nuit silencieuse, il a aussi donné à écouter le bruit des « outils » métalliques sur le granit et la pierre. Leur résonance est d’autant plus forte qu’elle ajoute par son étrangeté au risque d’être découvert. Mais ce qui donne plus de force encore au film, c’est l’interprétation des acteurs. Avec Michel Constantin, se trouvent réunis, pour un « jeu » très naturel, des acteurs non professionnels, notamment Jean Kéraudy, ancien détenu qui a participé à de véritables évasions. Cette « vérité » du « jeu » des acteurs contribue grandement au réalisme du film et à la fascination qu’il exerce sur le spectateur. Dans Le Trou, « tout geste, toute parole, toute pensée, toute image est orientée vers la conquête de la liberté » (Pierre Billard).
Le Trou n’est pourtant pas un film ayant pour sujet la prison, ni même un « film d’évasion ». Il est beaucoup plus que tout cela. En 1953, le critique André Bazin avait déjà fait remarquer l’une des caractéristiques majeures du cinéma de Becker. « Il s’agit pour Becker de nous faire croire à ses personnages, de nous les faire aimer, indépendamment des catégories dramatiques qui constituent l’infrastructure habituelle du cinéma comme du théâtre ». Loin de démentir, le réalisateur avait alors confirmé la pertinence de l’observation du critique. « Je n’ai jamais voulu (exprès) traiter un sujet. Jamais et dans aucun de mes films. Les sujets ne m’intéressent pas en tant que sujets. L’histoire (l’anecdote, le conte) m’importe un peu plus, mais ne me passionne nullement... Seuls les personnages de mes histoires (et qui deviendront MES personnages) m’obsèdent vraiment au point d’y penser sans cesse ».
Si Le Trou est donc un film sur cinq détenus qui tentent de s’échapper, il est, au-delà, un film sur l’humanité de cinq hommes en quête de liberté et sur l’Humanité à laquelle ces personnages appartiennent tous. Tendus vers leur dessein, ils vivent, après la solitude, la solidarité et la confiance. L’amitié, peu à peu, naît et grandit aussi.