Analyse par Oscar Duboy (suite)
Seuls les quelques objets qui l’entourent sont là pour nous donner des pistes de lecture avouées, tant Losey s’évertue à les souligner tantôt par un gros plan, tantôt par la lumière. Comme nous le lisons dans la monographie consacré au réalisateur par Michel Ciment [1], ce sont une collection d’œufs et une discothèque à base de Billie Holiday qui ont servi d’indications à l’actrice pour définir son personnage. Et il en est de même pour le spectateur qui tente tant bien que mal de coller les morceaux d’une mosaïque fort intrigante.
La collection parle d’une femme qui empile les amants, de préférence luxueux comme le sont les pièces. Les pattes du homard filmé en gros plan lorsque Eva et Tyvian s’apprêtent à consommer font penser à celles d’une mante religieuse anéantissant ses amants, ce qui nous sera confirmé par la suite. Aucun attachement donc si ce n’est pour ce disque de Billie Holiday dont les notes de Willow Weep for Me la suivent à Venise ou ailleurs.
Elles nous disent : « Willow weep for me / Bent your branches down along the ground and cover me / Listen to my plea » (trad. « Saule pleure pour moi / Penche tes branches à même le sol et couvre-moi / Écoute ma supplication ») comme les mots d’une femme telle que Billie Holiday, dont la vie malheureuse serait l’unique moyen d’exprimer la détresse d’Eva. Ce témoignage la définit là où le décor baroque de son appartement romain la délaisse, par exemple dans l’hostilité de la belle maison de Torcello à Venise.