Analyse et critique
Par Antoine Royer - le 23 juin 2015
Les dictionnaires du cinéma, à l’entrée Gilles Grangier (quand ils daignent en posséder une), parlent souvent moins de la carrière du cinéaste que de François Truffaut,auteur d’une retentissante attaque ad hominem dans le n°31 des Cahiers du Cinéma, avec un article qui aura contribué à placarder durablement une pancarte "qualité française" sur le fronton de la filmographie, modeste mais loin d’être si méprisable, de Gilles Grangier. On peut - et on doit même - reconnaître que l’œuvre de Grangier,y compris lorsqu’elle se soumet (parfois un peu trop docilement) aux autorités de Jean Gabin ou de Michel Audiard, compte quelques paresses, pour ne pas dire plus.
Mais la même honnêteté peut aussi conduire à dépouiller l’expression "qualité française" de toute sa charge sarcastique pour apprécier un véritable savoir-faire (dans la forme comme dans la manière de s'entourer), ayant débouché sur quelques accomplissements notables : dans l’exercice spécifique de l’adaptation littéraire (en l’occurrence de Simenon), Le Sang à la tête, en 1956, en était un ; dans le style gouailleur et populo auquel on associe généralement la plume d’Audiard, Le Cave se rebiffe, en 1961, en sera un autre ; et dans le registre du film noir français des années 50, Le Désordre et la nuit en est un, certainement pas le moindre.
Le cinéma de Gilles Grangier, dans ses réussites comme dans ses ratés, repose sur une préoccupation réaliste, quasi sociologique, de description du quotidien ou des conditions de vie des Français de son époque, ce qui lui confère une forme d’intérêt historique rétrospectif, autant qu’un petit charme désuet (d’aucuns - et c’est un peu plus qu’une question de vocabulaire - diraient qu’il est souvent assez daté). Mais si bon nombre de ses œuvres se situent en province, et s’ancrent dans une sorte de terroir ou dans un mode de vie associé aux classes populaires, Le Désordre et la nuit entreprend, lui, de décrire les tumultueuses nuits parisiennes, entre négoce de stupéfiants et cabarets interlopes.