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Notre avis : Après avoir tourné un certain nombre de comédies insignifiantes et un polar honnête, Denys de La Patellière souhaite en ce début des années 60 évoquer l’absurdité d’une guerre qui a emporté certains membres de sa famille. Il réunit ainsi le scénariste René Havard et le dialoguiste Michel Audiard pour construire une histoire se déroulant durant la campagne de 1942 en Libye et mettant en scène un groupe de soldats perdus dans le désert. Avec l’aide de Michel Audiard, le scénario se dote d’un ton ironique qui transforme progressivement le film en une comédie féroce sur l’imbécilité de tout conflit armé. Sublimé par des dialogues savoureux (« à la guerre, on devrait toujours tuer les gens avant de les connaître »), Un taxi pour Tobrouk évoque sur le ton de la plaisanterie des thèmes délicats comme l’obéissance à une autorité aveugle, la fraternité entre les peuples, tout en se moquant ouvertement des règles et usages ridicules imposés par l’armée
Avec un budget limité, la production s’est déplacée jusqu’à Almeria en Espagne (l’Afrique du Nord en pleine décolonisation était trop risquée pour les assureurs) afin de profiter d’espaces désertiques sans sortir de l’Europe. Malgré des moyens réduits, l’équipe technique parvient à un résultat très convaincant, jusque dans les quelques séquences de combat, plutôt bien menées. Conscient des limites formelles imposées par la production, La Patellière s’est donc concentré sur le jeu de ses acteurs et sur les liens qui les unissent. La grande réussite du long-métrage tient effectivement dans cet esprit de franche camaraderie qui surgit en cours de projection, y compris entre les Français et leur prisonnier allemand. Glissant au passage quelques vérités sur la France de la collaboration, sur l’attentisme d’une large partie de la population ou encore sur l’héroïsme de pacotille mis en avant au moment de la Libération, le film de La Patellière n’a pas fait que des heureux au moment de sa sortie, notamment au siège de la Gaumont, bien embarrassée par la teneur antimilitariste de l’œuvre.
Toutefois, la présence au générique de Lino Ventura, alors en pleine ascension, ajouté aux réelles qualités du long-métrage ont permis au taxi d’arriver à bon port dans les salles françaises. Contre toute attente, ce petit film de guerre au ton iconoclaste a convaincu plus de 4 944 008 spectateurs, lui permettant d’être le quatrième plus gros succès de l’année 1961 dans l’hexagone et le premier d’origine française. Un score remarquable pour ce qui restera comme le meilleur film de son auteur et un jalon important dans la carrière de Michel Audiard.