Critique publiée par MisterPH le 14 septembre 2012
Ça commence en couleurs : Marjane adulte se rend à Orly, se dirige vers le guichet d'embarquement du vol pour Téhéran, où la préposée lui demande billet et passeport. Le regard vide, interloquée, Marjane se retrouve plongée dans ses souvenirs, trente ans plus tôt. Basculement dans le noir et blanc. Marjie a 6 ans, à Téhéran, en 1978. L'Iran est un pays moderne, mais sous le joug de la dictature d'un Shah qui a hérité son titre d'un empereur autoproclamé sous la bénédiction des Britanniques. La révolution est en marche, le peuple éclairé, dont la famille de Marjane fait partie, espère une démocratie socialiste. Mais les élections en décident autrement : la révolution sera islamique, et le pays s'enfonce, pas lentement mais très sûrement, dans la barbarie intégriste. La guerre avec l'Irak déclarée, Marjane pré-adolescente est envoyée par ses parents en Europe, en Autriche, loin de la destruction de son pays à laquelle elle a commencé à assister.
La rencontre de l'histoire individuelle avec l'Histoire, cela n'a rien de nouveau mais, à travers les yeux de Marjane Satrapi, c'est une découverte. Ne serait-ce que parce qu'on connaît trop mal l'Iran, pays trop souvent passé à côté de ses occasions de devenir un pays moderne et démocratique. A travers le trajet de Marjane des années 70 aux années 90 et ses allers-retours entre l'Iran et l'Europe, ce sont des thèmes comme la condition féminine ou la perte de l'identité qui résonnent le plus. C'est aussi une grande leçon de relativisme : quand le début des années 80 occidentales scande "No Future", l'Iran enterre son avenir en même temps que ses "martyrs" sous les décombres de sa capitale en guerre.
Le regard de Marjane oscille toujours entre celui de l'adulte et celui de la petite/jeune fille — l'exercice n'est pas facile, et le jeu troublant du récit autobiographique est mené jusqu'au bout. Le tout avec un humour omniprésent, qui pourrait être tragique s'il n'était le signe que, même sous la répression la plus féroce, l'espoir subsiste. Il y a quelque chose de La Vie est Belle dans ce rire-là. Le personnage de la grand-mère, doublé par Danielle Darrieux, est monumental !Enfin, en rester là serait oublier la forme, fondamentale : un dessin dépouillé mais expressionniste, vaguement "manga" par moments, reflet de la subjectivité de la narratrice / personnage principal. Quant au noir et blanc, hérité de la bande dessinée, il se pose comme une évidence — on ne se pose même pas la question.