OBJECTIF CINEMA
LE PLUS BEAU FILM DU MONDE ?
Comment survit-on à Respiro ? Trop tôt pour le savoir. Avec 2003 s’ouvre d’autres recherches figurales entre le personnage et l’œuvre, avec 2003 s’ouvre Respiro. Grazia, le personnage, n’a aucun âge. Voilà un film sans date, ni temps précis. De nos jours, sans doute, proche d'une Sicile aride. La ville de Lampedusa, caniculaire et sèche. Bleue,assurément.
Respiro, immense film-personnage : Crialese n’élève pas seulement son personnage au rang de mythe, faisant du film une véritable tragédie. Avant d’être le révélateur du lieu, une île donc, il s’avère que le film révèle un personnage, la trame temporelle dans laquelle il s’inscrit étant courte, intense, moins une parenthèse qu’un moment décisif d’une vie, en même temps que d’une communauté. Limpide, Respiro efface, au passage, son principe paradoxal de réalité documentaire. Mais l’émotion naît du cœur de Grazia : de cenoyau dur se dessinent, s’enclenchent les contours sociaux et leur évolution, tel un levier nécessaire et théorique.
Grazia apparaît comme une des héroïnes qui marqueront le XXIème siècle et le nouveau siècle du cinéma. Une des premières après Rosetta des frères Dardenne. Femme- essence par défaut, femme-enfant par essence. Femme-louve du village, enfantée par un autre Stromboli. De son cœur de Baby Doll en éruption, de cet épicentre rouge sanguin(du personnage, du village et du film) qui étreint le spectateur, se propagent, par nervures, épidermes des visages et regards incarnés, le cataclysme, s’étend le raz-de-marée Respiro. La fureur de ce personnage ne s’est jamais dessinée ailleurs de la sorte. Border line : une ligne blanche où se croisent folie et accès de crises, retraite et exaltation,rupture névralgique au monde et scission, dissidence de soi.
Grazia devient un type, une madone du peuple. Mais l’essentiel est ailleurs : le cinéaste, là réside le grand écart auquel parvient Respiro, entre l’île et l’Italie, la Sicile et le monde,agrandit la Péninsule, ouvrant le bleu monochrome de Lampedusa en une palette de perceptions et de sensations. Crialese marie l’intime à l’universel, la passion à la maladie d’une femme, opposant au passage sa fureur au silence social du non-dit, du tabou. Comment y survit-on ? Le bleu azuréen se fond dans les montagnes évidées. Respiro a appris à vivre en leur sein et finit par se libérer là où échoue Grazia : sous l’eau et en apnée. Au son d’un saxophone essoufflé, qui joint à la fascination plastique de la scènel’alchimie musicale, asphyxie brute et décisive.
Respiro ou l’expérience sensible du monde. Donne une consistance, un corps de lumière aux pierres. Donne vie à des chiens ravalés sous terre (culte du chien dressé) qui,lâchés dans la ville par Grazia, dévorent le plan avant d’être décimés, un à un, à la carabine. Expérience d’un monde qui s’immole et renaît. On y verra un film sur la liberté : la femme brûle la peau du peuple, qui reprise sa propre peau et la sienne, en la croyant disparue, morte. Immoler, renaître : Respiro. Repriser la peau du monde. Expirer.