Le réalisateur Michael Haneke
*
*
Extraits de
http://www.iletaitunefoislecinema.com/retrospective/3348/jeu-hasard-et-societe-retrospective-haneke
Le Ruban blanc, grand vainqueur du festival de Cannes 2009, marque l’apogée du cinéaste. Haneke examine scrupuleusement la vie des habitants d’un village au début du XXème siècle. Malgré un système hiérarchique évidente – baron, pasteur, professeur, paysans – les relations cachées et les jeux interdits entre les individus bousculent les normes établies. La violence transparait dans les gestes et les comportements des adultes, qui ne parviennent plus à reproduire ni à retrouver ce système hiérarchique auprès de leurs enfants.
Ceux-ci sont considérés à priori innocents, d’où le titre métaphorique du ruban blanc, symbole de pureté. L’entrechoc entre les traditions rigides et obtuses du protestantisme luthérien et la réalité d’une nouvelle génération conduit à la déviation. Haneke, sans porter un jugement dans la simplicité « objective » et apparente de sa mise en scène, engage la responsabilité collective sans évoquer la culpabilité individuelle.
Le Ruban blanc
La question de la transmission entre les générations intéresse Haneke depuis toujours. C’était déjà le sujet de plusieurs de ses films pour la télévision, chacun à leur manière : Lemmings, Fraulein et La Rébellion. Par sa construction, la 1re partie de Lemmings ressemble beaucoup au Ruban blanc. C’est un drame sur le destin de la génération post Seconde(?) guerre mondiale, à laquelle l’auteur appartient d’ailleurs. C’est la génération des adolescents autrichiens qui grandissent dans des familles bourgeoisies extrêmement strictes. Les adultes ont l’habitude de se faire obéir et ne supportent aucun questionnement ni remise en cause des valeurs de la famille, du pays et de Dieu.
Il est interdit de parler de la guerre. Méprisant envers l’impotence et l’hypocrisie de leurs parents,les jeunes gens se rebellent de leur propre manière,destructive ou autodestructive. Dans la 2ème partie du métrage, les enfants devenus eux-mêmes adultes vivent maintenant dans des mariages sans amour et donnent naissance à des enfants qu’ils n’ont pas désirés. C’est un monde fait de désespoir et d’indifférence froide, où la prière, les pilules, l’alcool, les affaires extraconjugales, la télévision expriment une rage inexplicable et ne mènent qu’à une blessure encore plus profonde.
Parmi les films préférés de Michael Haneke il y a Au hasard Balthazar (1966) de Robert Bresson. La construction de l’histoire ressemble au film La Rébellion tiré du roman de Joseph Roth (1924). Le film décrit la déchéance d’un homme vieillit bien avant l’âge, le soldat Andreas Pum de retour de la grande guerre. Handicapé, il a perdu une jambe, il devient joueur d’orgue à 8 chansons et épouse une jeune veuve. Il a foi en l’Etat, c’est un citoyen loyal, qui considère les vétérans de guerre qui protestent contre leur situation comme des paresseux et des « mécréants » désobéissants.
Un soir, une altercation provoquée par un riche bourgeois dans un tramway, condamne Pum à la misère et la solitude. Après cet incident, son âme est affaiblie devant l’amer constat de sa vie gaspillée à servir Dieu et l’empire. Pum meure malade et fatigué dans les toilettes où il travaillait déguisé en uniforme de militaire. Les règles du jeu de la société ne sont pas adaptées aux pauvres et handicapés. Utilisant l’esthétique de la période du muet, des tons sépia et des teintes de couleurs effacées, Haneke rend hommage au cinéma de Pabst et Murnau.
La Rébellion
Haneke est un réalisateur du concret, un peintre du détail. Sa morale esthétique de l’image est exigeante et dictée par les thématiques de son choix. Il utilise une géométrie froide, des plans fixes morcelés et beaucoup de plans séquences. La colorimétrie de ces films n’est jamais très claire, sinon d’un blanc clinique, où les couleurs sont plutôt sombres, froides, grisâtres… Si Bresson a inventé l’image « sale », Haneke a réussi à décaler la beauté de l’image. On ne peut pas filmer la souffrance avec beauté, dit Haneke.
L’esthétique du cinéma dominant manie les principes des publicitaires, du point de vue psychologique ça doit être rassurant, ce qui n’est pas admissible dans le cinéma de l’auteur qui n’aime pas cacher les choses sous le tapis.L’art le plus proche du cinéma c’est la musique, dit le pianiste manqué Haneke, qui se dit plutôt un homme d'oreille que de regard. Un film doit avoir son propre rythme. La fameuse scène de ping-pong dans 71 Fragments d’une chronologie du hasard dure une éternité afin que le spectateur puisse passer à travers toute la gamme de réactions : saisir l’information pour suivre le récit, puis l’ennuie et la lassitude jusqu’à la compréhension du sens de l’image.
La musique est aussi parfois au centre du film, comme dans La Pianiste qui a fait connaitre Haneke au grand public. Pour le cinéaste, elle est la reine des arts. Pourtant il n'en abuse pas et l’utilise de préférence dans la diégèse comme accompagnement, illustration ou pour créer une pollution acoustique. La surcharge musicale qu’on peut observer dans la tendance du cinéma dominant d’aujourd’hui n’est qu’un moyen de cacher les défauts du réalisateur. Les ruptures brutales de la musique dans ses films nous rendent conscients de sa présence et de son effet. Haneke est très attentif au silence, et regrette qu’on ne soit plus habitué à écouter le silence. Rien que son travail de trois mois passé au mixage de son dernier film témoigne encore une fois de l’importance que le réalisateur attache au son.
Le cinéma de Haneke est un cinéma engagé car divergent du cinéma "mainstream". Le cinéaste parvient à imposer ses codes, ses règles du jeu et à être aimé du grand public. Son cinéma respecte le spectateur car il le considère comme un partenaire de jeu égal, et est ouvert à toutes les interprétations possibles. Dans ce monde où la violence ne perturbe plus le rythme de battement de nos cœurs, les images de Haneke restent longtemps dans nos consciences, elles transgressent les codes de normalité, elles nous déstabilisent, provoquent, nous mettent au défi pour mieux préparer notre quotidien, pour mieux nous affronter nous-mêmes.
Lien vers Canal académie (vidéo/Entretien)
http://www.canalacademie.com/emissions/carr915.mp3