SUD OUEST
Le rôle tenu par Emir Kusturica devait initialement être joué par son ami, le réalisateur russe Nikita Mikhalkov. En août 2009, Christian Carion a expliqué au journal "Sud Ouest" les raison du changement :
Q/Emir Kusturica est remarquable, comment s'est effectué votre choix ?
R/Christian Carion : Au départ, j'avais contacté un acteur russe qui s'est laissé intimider par l'ambassadeur russe en France aujourd'hui ministre de la Culture, en lui disant qu'il ne pouvait pas incarner un traître à la nation russe alors qu'en France, il passe pour un héros. Il s'est désisté et je remercie le ministre russe car, sans lui, je n'aurais pas contacté Emir qui est époustouflant. Il incarne à lui seul la stature imposante du régime mais avec une immense fragilité. Il a apporté une forme de tendresse que j'espérais. Formidable pour son premier grand rôle où il a dû parler dans deux langues étrangères, le français et le russe qu'il a réappris.
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Dans une interview, Emir Kusturica a déclaré : ”Je joue un agent-double qui est sur les genoux, fatigué de la vie. C’est une histoire et une idée de film intéressante, et je pense que cela va m’aider dans l’art du cinéma”.
Interrogé durant le tournage, le producteur, Christophe Rossignon, assure : ”Dans la peau du célèbre espion du KGB qui offrit ses services à l'occident, personnage ambivalant et particulièrement complexe, d'un mimétisme déconcertant, Emir Kusturica s'est révélé exceptionnel.”
L'Affaire Farewell est le tout premier film a avoir obtenu la dérogation lui permettant de tourner au Palais de l'Elysée. Le réalisateur Christian Carion était convaincu : « Je leur ai expliqué que les films américains, quand ils montrent le pouvoir, ne font pas semblant. Et pourquoi les Français n’auraient pas accès à l’Elysée, quand les Américains tournent à Versailles ou au Louvre ? Le ministère de la Culture nous a soutenus. »
Christian Carion, dans son soucis d'exactitude, voulait également tourner à Moscou. Mais, quand le scénario a atterri entre les mains de l'interprête français de Vladimir Poutine, tout s'est grippé. L'ambassadeur de Russie en France, Avdeïev fera en sorte de tout bloquer avec la Russie. Et pour cause ! Avdeïev faisait partie des 47 diplomates russes expulsés par Mitterrand. En effet, en janvier 1983, la France découvre que tous les messages échangés depuis 1977 entre l’ambassade de France à Moscou et le Quai d’Orsay ont été interceptés par les Russes, qui avaient installé une dérivation sur le téléimprimeur de la chancellerie. Furieux, Mitterrand avait demandé la liste des membres du KGB et du GRU, le renseignement militaire soviétique opérant en France. Cette liste avait été obtenue grâce à la taupe Farewell…
Du coup, Carion s'est rabattu sur Kiev, en Ukraine. Il incrustera en arrière-plan des vues de Moscou. Esthétiquement, la capitale d'Ukraine ressemble en bien des points à Moscou. Le métro, par exemple, y est aussi beau. Or, plusieurs scènes importantes y sont prévues. Les autorisations n'ont pas tardé à arriver, d'autant plus vite que toute occasion d'agacer Moscou à distance y est plutôt bienvenue… Mais par prudence, au Regency Hyatt de Kiev, Guillaume Canet et Emir Kusturica sont descendus sous de faux noms : Marc Lanvin et Pierre Legrand…
Emir Kusturica a dû jouer en Russe (langue qu'il connaît bien, pour l'avoir apprise à l'école sous le régime communiste de Tito) et en français. Même s'il parle relativement bien français, il a quand même dû travailler son texte phonétiquement, et se faire aider par des antisèches tenues à bout de bras par une assistante…
L'onde de choc des révélations fournies par Farewell conduit l'URSS à son déclin et aboutit à la chute du mur de Berlin. A ce propos, Emir Kusturica déclare : ”Je ne suis pas la personne idéale pour apprécier la chute du mur. La réunification de l'Allemagne a aussitôt provoqué le démantèlement de mon pays, la Yougoslavie, qui me manque toujours, pourquoi le nier. Il y avait du mauvais dans le communisme, mais il y avait aussi du bon. Ce qui me plaît dans la vision de Christian Carion de ces événements, c'est sa dimension humaine. Farewell est un communiste au sens noble, comme l'était mon père, qui, comme lui, n'aurait pas supporté qu'on pervertisse ses idéaux de jeunesse.”