Réalisateur du terroir (d'où il vient vraiment) avec Une hirondelle a fait le printemps, et du film des tranchées un moment pacifiées - Joyeux Noël, Christian Carion se fait metteur en scène de la guerre froide sur ses dernières années par le biais de L'Affaire Farewell, évocation du plus grand cas de trahison au sein du KGB. Une histoire vraie sur laquelle le réalisateur revient à l'occasion de la sortie de son film en DVD et Blu-ray.
Par Marc Toullec (12/03/2010 à 14h56)
******
Q/Le cas Farewell, ce colonel du KGB, semble sortir d’un roman d’espionnage. Pourtant, ce n’est plus du John Le Carré, mais de la réalité…
R/J’ai pris connaissance de cette histoire dans un livre où Jacques Attali dans lequel il (?)revient sur ses années François Mitterrand. Un livre qui aborde de nombreux sujets dont justement Farewell qui, par action secrète, a lourdement pesé sur les rapports entre le bloc soviétique et l’Occident. La découvrant, je me suis dit : « C’est quoi cette histoire ? » Pratiquement inconnue du grand public, elle est tout de même d’une importance considérable, particulièrement dans la chute de la Mur de Berlin… La rencontre officieuse entre Ronald Reagan et François Mitterrand m’a confirmé qu’il s’agissait de quelque chose de vraiment exceptionnel. À travers des articles, notamment ceux du Monde, j’en ai appris un peu plus. Puis, plus rien, jusqu’au jour de 2006 où, revenant des oscars où je me trouvais pour Joyeux Noël, le producteur m’a remis un scénario qui me renvoyait au livre de Jacques Attali que j'avais lu des années plus tôt.
Celui de L’Affaire Farewell ?
Oui. Mais si le manuscrit traitait de cette mystérieuse taupe à Moscou, travaillant contre les intérêts de son pays, il ne possédait pas la dimension politique,géostratégique à laquelle je tenais. La rencontre Mitterrand-Reagan, je voulais la voir à l’écran… Au-delà, me plaisait surtout l’idée de cet officier russe qui, à Moscou et en mai 1981, s’est convaincu qu’il pouvait changer le monde par sa seule action. Ironiquement, le slogan de la campagne présidentielle de Mitterrand disait « Changer la vie » des Français… Me plaisait aussi le bonhomme, son côté solitaire, idéaliste, romantique très slave. Il savait qu’il allait à la mort, qu’il se sacrifiait pour une cause. Un peu La Mort du loup, le poème d’Alfred de Vigny en somme. De ce ressort humain, j’avais aussi besoin dans le projet. Sinon, je m’ennuie… Un facteur indispensable au cinéma que je pratique.
Vous parlez de faits réels concernant Farewell. Pourtant, au générique, figure le mot « d’après un roman »…
En fait, le film est une « libre adaptation » de faits qui, jusqu'à aujourd’hui, ont nourri plusieurs ouvrages. Il existe même un livre russe d’où le personnage ne sort d’ailleurs pas grandi. En fait, d’autres ouvrages, américains et français, présentent des thèses encore différentes sur son cas. Difficile d’y conclure à une vérité, une seule. Concernant Farewell, la vérité est plurielle. Alors que pour Joyeux Noël, je me suis arrêté sur des faits avérés, incontestables, j’ai renoncé avec L’Affaire Farewell à ne défendre qu’une théorie, à rechercher une histoire officielle qui, de toute manière, n’existe pas. En fait, j’ai choisi de reconstituer les événements par le biais d’une vision de l’époque, d’une reconstitution, de mêler la réalité à la fiction. Au-delà du tableau des dernières années de la Guerre Froide, il y avait bien sûr le personnage, le moteur au film. Une figure tragique.
… et qui suscite toujours la controverse.
Oui. Des choses étranges se sont produites autour de Farewell. Dans les années 90, un numéro de l’émission «Envoyé spécial» lui a été consacré ; il a purement et simplement disparu. J’ai moi-même pu constater que le projet du film ne laissait pas tout le monde indifférent. Des gens, ceux que j’appelle les « Visiteurs du soir », me téléphonaient la nuit. Ils me demandaient si je travaillais bien à un film sur Farewell, qu’ils avaient par conséquent deux ou trois informations intéressantes à me communiquer… Il fallait donc se rencontrer autour d’un café. Et, là, mon contact de sous-entendre que Farewell n’est peut-être pas mort, que personne ne peut en apporter la preuve, faute de corps… Avant de poser deux euros sur la table, le type de me dire : « Dans une affaire d’espionnage, tout est possible ! » Une tentative de déstabilisation.
Pourtant, vous êtes parti de certitudes, de certains faits avérés…
Oui, comme la rencontre Reagan-Mitterrand, de l’animosité entre les deux hommes… Mais beaucoup d’éléments restent dans l’ombre. Certains doutent même de l’existence de Farewell. Selon Jacques Attali dans son livre, il pourrait s’agir d’une sorte de test, d’une manière de mesurer la loyauté de Mitterrand vis-à-vis des Etats-Unis, les documents en possession provenant d’une CIA qui attendait qu’ils soient remis à leur président. De cette thèse, Jacques Attali en est convaincu. À l’époque responsable de la Sécurité à l’Elysée, Gilles Ménage croit pour sa part que la DST a, depuis le début, joué double jeu avec la CIA, ses responsables n’ayant qu’une confiance toute relative en un président socialiste. À quel niveau de manipulation se situe la réalité des faits ? Je l’ignore ! Quoi qu’il en soit, on se croirait presque dans La Lettre du Kremlin !
Dans le rôle de Reagan, Fred Ward est bluffant de ressemblance…(bof...)
Au départ, Fred Ward ne voulait pas tenir le rôle de Ronald Reagan. J’ai dû batailler pour qu’il accepte. Il m’a d’abord répondu : « Il n’y a que des Français pour me faire une telle proposition ! » Pour lui, la démarche du film était suspecte. Il m’a bien précisé que, aux Etats-Unis, Reagan faisait pratiquement l’unanimité, qu’il avait été enterré en héros, tous les autres présidents encore vivants se tenant la main pour regarder son cercueil descendre en terre. Pour Fred Ward et les Américains, il était l’homme derrière la chute du Mur de Berlin, la fin de l’empire soviétique. Alors, prétendre que se cachait derrière tout ça une histoire secrète passant par Paris, ce n’était pas très clair, pas très bon pour sa mémoire. Fred Ward m’a peu à peu fait confiance.
Vous faites même de Reagan, un ancien cow-boy d’Hollywood, un amateur de westerns…
Quelque chose que m’a confié Jacques Attali et que j’ai glissé dans le scénario. Pas sûr que Reagan appréciait vraiment L’Homme qui tua Liberty Valance de John Ford, mais ça tombait sous le sens que ce soit le cas dans L’Affaire Farewell, surtout en regard de l’intervention finale de John Wayne qui tue Lee Marvin, laissant croire à James Stewart qu’il l’a fait. Un leurre qui colle étroitement au contenu de mon film.
Avant d’entreprendre le tournage de L’Affaire Farewell, avez-vous vu ou revu tous les classiques du cinéma d’espionnage touchant à la guerre froide…
Non. Tentant, mais je si l’avais fait, je me serais senti littéralement écrasé par mes prédécesseurs. Par contre, j’ai demandé à beaucoup des membres de l’équipe de s’imprégner des Hommes du Président. Pour ce qui retourne des costumes, des lumières, des décors, nous nous en sommes beaucoup inspirés dans la reconstitution du début des années 80.
Des années 80 que vous avez justement reconstituées où ?
En Ukraine ! A Kiev, nous avons même trouvé un métro qui ressemble tellement à celui de Moscou. A 400 kilomètres de là, nous avons trouvé avec Karkoff une ville encore plein de statues de l’époque soviétique, lesquelles n’existent plus à Moscou. Quant aux scènes, nous les avons tournées à Helsinki, dans un vieux quartier construit par des architectes russes. De la Russie véritable, il n’y a dans le film que quatre plans, volés d’ailleurs, sous couvert d’une publicité pour Coca-Cola. Nous étions trois à jouer les espions amateurs, aidés par une productrice russe qui a loué les services d’un policier russe d’un mètre quatre-vingt-quinze. Planté près de la caméra au moment où nous avons mis en boîte les images de notamment l’université de Moscou et de la place Rouge, personne n’a osé nous questionner sur ce que nous faisions là !
Au départ, nous devions effectivement tourner en Russie, à Moscou. Nous avions même un partenaire de poids avec le réalisateur Nikita Mikhalkov, l’une des personnalités les plus influentes du cinéma russe. Confiant, il nous avait garanti des prises de vues sur les sites de notre choix. Au final, il n’a obtenu aucune autorisation. Impossible de faire sans. Le premier interprète de Farewell nous a également fait faux-bond, après avoir reçu à Paris un coup de téléphone de l’ambassadeur russe lui demandant pourquoi il tenait tant à jouer un traître… Nous étions à six semaines du tournage et tous les autres comédiens russes se sont retirés du projet. Des pressions qui venaient de haut, de très haut.
Mais vous vous en êtes toutefois bien tiré en engageant Emir Kusturica…
Emir a accepté de tenir le rôle du fait de la dimension humaine du rôle. Farewell l’a personnellement touché, surtout parce que le scénario insistait sur la vie privée de l’espion, la sphère familiale dans laquelle il évoluait. Accord donné, Emir s’est mis au travail. Très dur pour lui de se mettre dans la peau d’un acteur, d’un personnage aussi présent à l’écran et qui doit parler français, russe. D’autant moins évident pour lui que, le français, il le comprend bien sans vraiment le pratiquer. Que, du russe, il avait tout oublié ou presque depuis l’école où son enseignement était obligatoire en Yougoslavie. Emir a vraiment pris des risques avec L’Affaire Farewell ; on peut même dire qu’il s’est réellement mis à poil ! Merci aux autorités russes de m’avoir, malgré elles, conduit à lui.