LE POINT
Coup de projecteur sur l'affaire
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Profitant de l’absence de Nicolas Sarkozy en voyage officiel en Tunisie, le fantôme de François Mitterrand est revenu deux jours durant à l’Elysée. C’était en avril. Pour la première fois, le palais présidentiel a été utilisé comme décor de cinéma. Une dérogation exceptionnelle pour une histoire exceptionnelle.
Celle d’un colonel du KGB qui décida de devenir une taupe pour la France. Nom de code : « Farewell ». En 1981, Vladimir Vetrov, écoeuré par le système soviétique, alla toquer à la porte de la DST qui l’avait déjà « tamponné » en vain, dans les années 60, lorsqu’il était en poste en France. C’est grâce à Farewell que Mitterrand, à peine élu, se mit dans la poche le président des Etats-Unis, Ronald Reagan, alors ulcéré par l’entrée de ministres communistes dans le gouvernement français. En juillet 1981, lors du sommet d’Ottawa, Mitterrand lui révéla en tête-à-tête que les espions russes s’étaient procuré la couverture radar des Etats-Unis, censée prévenir d’une attaque nucléaire.
Le réalisateur Christian Carion, connu pour« Joyeux Noël » et « Une hirondelle a fait le printemps », a remué terre et ciel pour tourner la plus incroyable histoire d’espionnage des années 80. Carion voulait l’Elysée. Mais, en pleine préparation de la venue de Kadhafi,la cellule communication du palais était un peu nerveuse Je leur ai expliqué que les films américains, quand ils montrent le pouvoir, ne font pas semblant. Et pourquoi les Français n’auraient pas accès à l’Elysée, quand les Américains tournent à Versailles ou au Louvre ? Le ministère de la Culture nous a soutenus. »
La chance a voulu que, parmi ses interlocuteurs à l’Elysée, l’un d’eux connaisse bien l’affaire Farewell. Un accord est trouvé. Carion aura accès, au même tarif que pour un monument national, à la cour d’honneur, à la salle des Fêtes et au perron du palais présidentiel. Une date est fixée : les 28 et 29 avril, lors du voyage de Sarkozy en Tunisie. Le salon Doré, autrement dit le bureau présidentiel, est reconstitué à deux pas, à l’hôtel de Marigny. Mais la cour d’honneur faisait un peu vide : Carion demande donc si on peut trouver des voitures d’époque. On l’emmène sous l’hôtel de Marigny, où se trouve le vaste garage de l’Elysée. C’est là que dorment les 2 Citroën SM conçues en 1972 pour l’accueil de la reine d’Angleterre par Pompidou. Sarkozy est le premier président à ne plus en faire usage, mais une fois par semaine on leur fait faire le tour de l’Elysée.
Dans la salle des Fêtes, l’acteur Philippe Magnan campe un François Mitterrand plus vrai que nature.(oh...faut pas éxagérer) Au point que tout l’Elysée a défilé pour « voir Mitterrand ».(putain ! c'ke les gens sont CONS!!) Dans le rôle du colonel Vetrov, le réalisateur-comédien-musicien Emir Kusturica. Et comme agent traitant de la DST, Guillaume Canet. En réalité, ils furent plusieurs à traiter la source, à Moscou, pour la DST. D’abord Xavier Amiel, cadre moscovite de Thomson, puis Patrick Ferrand, attaché militaire adjoint à l’ambassade de France, et un troisième larron, demeuré anonyme. Pour que le film soit le plus réaliste possible, Amiel et Ferrand ont été débriefés par le premier scénariste du film.
Idem pour Marcel Chalet, directeur à l’époque de la DST, et Raymond Nart, alors chargé de la cellule soviétique, qui seul connaissait l’identité de Vetrov. De son côté, Christian Carion s’est longuement entretenu avec Jacques Attali, lequel, alors conseiller de François Miterrand, avait suivi l’affaire en première ligne. Carion a aussi recouru aux services de Sergueï Kostine, journaliste d’investigation russe,auteur d’un livre sur l’affaire en 1997.
Interdiction de tourner en Russie.
Dans son souci d’exactitude, le réalisateur voulait tourner à Moscou et avec, dans le rôle de Farewell, un acteur russe. En l’occurrence, le réalisateur Nikita Mikhalkov, également coproducteur du film en Russie. Mais quand, en mars, le scénario atterrit entre les mains de l’interprète français de Poutine, tout se grippe. Mikhalkov prévient Carion que l’ambassadeur de Russie en France, Alexandre Avdeïev, qu’il connaît bien, intrigue contre le film. Il ne veut pas qu’il soit tourné en Russie . « Il en a fait une affaire personnelle », se souvient Carion.
Et pour cause ! Avdeïev faisait partie des 47 diplomates russes expulsés par Mitterrand. En janvier 1983, la France découvre que tous les messages échangés depuis 1977 entre l’ambassade de France à Moscou et le Quai d’Orsay ont été interceptés par les Russes, qui avaient installé une dérivation sur le téléimprimeur de la chancellerie. Furieux, Mitterrand demande la liste des membres du KGB et du GRU, le renseignement militaire soviétique opérant en France, liste obtenue grâce à la taupe Farewell.
« Même en passant outre, on n’aurait pas eu les autorisations », explique Carion. Surtout qu’Avdeïev est devenu le nouveau ministre de la Culture. Pour des raisons de calendrier, Mikhalkov n’est plus disponible. La coproduction russe tombe à l’eau. Du coup, Kusturica, qui a appris le russe à l’école de Sarajevo, récupère le rôle. A un mois et demi du tournage, Carion se rabat sur l’Ukraine. De retour à Paris, il incrustera en arrière-plan sur l’image des vues de Moscou. Par prudence, au Regency Hyatt de Kiev, Canet et Kusturica sont descendus sous de faux noms, Marc Lanvin et Pierre Legrand...
Farewell aura permis à la DST d’identifier 70 agents soviétiques en poste en Occident. Mais, le 29 février 1982, la carrière du maître espion s’arrête net quand il poignarde en pleine rue sa maîtresse. Un an plus tard, le KGB découvre qu’il est une taupe et l’exécute. « Farewell » sortira en salle en novembre 2009. Date qui coïncide avec les 20 ans de la chute du Mur, à laquelle l’espion Vetrov aura aussi contribué, en incitant Reagan à durcir le jeu avec le Kremlin. Deux mois après la sortie du film débutera l’année franco-russe lancée par Avdeïev. Mais il n’est pas certain que « Farewell » soit le bienvenu pour une projection à Moscou.