Avis de Tout le Ciné
Millénium de David Fincher : le règne de Rooney Mara 4,0/5 (4,00)
Adapter un thriller suédois conventionnel, quoique saupoudré d'un romantisme moderne bien senti, n'est pas le genre de projet dont on rêvait pour David Fincher. Trop balisé, trop commercial. Pourtant, cet esthète des perversions identitaires parvient à insuffler à Millénium une noirceur énergique jubilatoire. Et rafle à nouveau la mise en Pygmalion pétrissant le corps multiple de Lisbeth Salander.Une poignée de secondes c'est le temps qu'il faut à David Fincher pour imposer sa science du divertissement et envoûter le spectateur.
Cet as du clip musical a concocté le plus addictif des génériques, sorte de ballet métallique où des corps imbibés de pétrole fusionnent avec la musique apocalyptique de Trent Reznor (qui reprend là Immigrant Song de Led Zeppelin). Le cinéaste attaque fort et décuple notre fièvre dès l'apparition soigneusement préparée de Rooney Mara dans les bureaux aseptisés de Stockholm. Celle qui incarne une geek punk misanthrope, victime d'abus sexuels, et quasi parricide, s'impose vite comme la synecdoque du film, le terrain d'expérimentation de Fincher, son arme visuelle majeure, la seule drogue dure que réclame le public. On ne voit qu'elle, on ne veut qu'elle.
Comme il l'avait fait dans Fight Club, le réalisateur filme en fétichiste son personnage principal et alimente notre obsession mi-bienveillante mi-voyeuriste pour la belle Lisbeth à coups de scènes virtuoses tantôt fulgurantes (la course-poursuite dans le métro) tantôt étirées dans un jeu sadique de dissimulation et de frustration. Les viols de Lisbeth (celui qu'elle subit, celui qu'elle inflige) synthétisent l'univers de David Fincher et les fantasmes récurrents que ce dernier sait transmettre à son public avec une facilité et une complicité éloquentes.(ouais ben moi j'ai viré les deux scènes) Notre hackeuse tatouée cumule les névroses modernes : solitaire, androgyne, taiseuse, elle symbolise cette contemplation esthétisée du « moi » qui sévit chez ceux qui confondent expertise et génie ou qui font de leur corps l'espace récréatif d'une quête identitaire ininterrompue.
Tout paraît alors plutôt fade à côté de ce bel animal. Daniel Craig ne convainc pas toujours en journaliste discrédité chargé d'enquêter sur une vieille affaire de meurtre. Le duo sexy avec Rooney Mara (qui l'épaule dans ce dossier) fonctionne bien, mais dès lors que la jeune femme disparaît de l'écran, on ne peut s'empêcher de voir poindre la silhouette proprette d'un James Bond qui aurait accepté une mission dans le grand froid suédois. L'intrigue policière ronronne gentiment et ne passionne pas.(il est évident que sans Rooney Mara ce film n'aurait pas eu grand intérêt)
Les motifs bibliques du serial killer paraissent d'ailleurs bien ringards comparé au lyrisme créatif qui caractérisait le criminel de Seven. Cette violence classique appelle logiquement une mise en scène plus impersonnelle et un tempo prévisible. Fort heureusement, c'est Rooney Mara qui ferme le film, et avec style, filant, gracile, à travers la ville.
Par Elodie Vergelati