ANALYSE ET CRITIQUE DVD Classik (fin)
Mais le scénario de Chambre avec vue, là encore fort respectueux de l’architecture du récit d’E.M. Forster,ménage à Lucy de rares et essentielles occasions de se soustraire à l’aliénante présence de ces divers tuteurs. Ces échappées constituent certainement les plus belles séquences du film. Accompagnant la jeune fille dans une escapade solitaire à travers Florence ou bien encore lors de promenades dans les campagnes toscane et anglaise, la caméra aère spectaculairement un film se déroulant pour l’essentiel dans le cadre de somptueux - mais étouffants - intérieurs bourgeois.
À la claustration et à l’ordonnancement impeccable de ceux-ci s’opposent alors des décors naturels à la fois ouverts - telle l’esplanade de la Place de la Seigneurie à l’ampleur dévoilée par un beau plan aérien - et foisonnants : les alentours aux allures préraphaélites de Windy Corner,la résidence de la famille de Lucy,n’ont rien à envier en luxuriance à celle des collines dominant Florence. En arpentant ces lieux - évidentes métaphores spatiales de la liberté - la jeune Anglaise pourra enfin prendre la mesure de ce à quoi elle aspire réellement.
James Ivory propose ainsi, avec Chambre avec vue, un très attachant portrait de femme en devenir,offrant une transposition cinématographique réussie d’un roman mêlant brillamment romantisme édouardien et réflexion féministe.
(1) A Room with a View (1908) a été traduit en français sous le titre "Avec vue sur l’Arno". Il est actuellement disponible dans un volume de la collection Omnibus intitulé Rencontres et destins et incluant quatre autres romans d’E.M.Forster parmi lesquels Howards End (1910), un titre lui aussi adapté au cinéma par James Ivory, ou bien encore Route des Indes (1924), transposé en 1985 sur le grand écran par David Lean.
(2) Peut-être n’est-il pas inutile de rappeler qu’E.M. Forster fut un ami proche de Virginia Woolf, faisant notamment partie des habitués du groupe de Bloomsbury. Et que l’auteure de Mrs. Dalloway proclama à plusieurs reprises son admiration pour l’œuvre d’E.M. Forster. On pourra se reporter, à ce propos, avec profit à la postface de Monteriano, le premier roman d’E.M. Forster récemment réédité chez Le Bruit du Temps.
Par Pierre Charrel - le 19 novembre 2012