On perçoit aussi un conflit générationnel sous-jacent : à la différence de leurs parents et grands-parents, les petits Joad (Ruthy et Winfield) s’amusent du voyage. Pour eux l’avancée vers ce monde plus moderne est source de bonheur. "We’re going to California, we’re going to California" chantent-ils à tue-tête lors du départ. La scène la plus symbolique est celle où Winfield et sa sœur découvrent pour la première fois des lavabos : ils sont fascinés par ce spectacle et éprouvent un intense plaisir à observer ces robinets modernes et rutilants, symboles d’un monde tourné vers le futur. Leur vision est en totale opposition à celle des parents chez qui prédomine la méfiance.
Face à l’érosion de l’unité familiale, la seule personne qui tente de maintenir le lien est Ma Joad. Elle est le moteur de la famille, celle qui pousse les Joad à aller de l’avant : lorsqu’ils quittent la ferme, Ma refuse de regarder derrière elle. Les yeux rivés sur la route, c’est grâce à sa volonté et ses sacrifices que la famille peut rester unie. Dans une autre scène, Ma Joad range ses souvenirs avant le grand départ. Seule face à son passé, elle regarde une dernière fois ses petits objets qui ont fait son histoire:en quelques images poignantes, Ford exprime la nostalgie intériorisée de Ma Joad. Pour que la famille reste unie, Ma sait qu’il faut cacher sa souffrance et ses peines.
Sa détermination est sans faille et dans la dernière scène du film elle fait cette déclaration : "Ils ne peuvent pas nous anéantir, ils ne peuvent pas nous écraser. Nous continuerons pour toujours Pa, parce que nous sommes le peuple". Avec ces mots, Ma prouve que malgré l’éclatement de la structure familiale et les difficultés qu’il y a à survivre, l’espoir demeure. De tous ses films, c’est sûrement dans celui-ci que Ford montre l’amour maternel avec le plus d’émotions, de profondeur et d’intelligence. (bof)