Dés la première séquence qui montre Tom Joad marcher vers un carrefour puis entrer dans une station essence (nommée symboliquement "Crossroad"), John Ford impose sa vision : à l’instar de L’Homme qui tua Liberty Valance (1962), Les Raisins de la colère raconte la transformation d’une civilisation qui quitte un monde de tradition pour s’inscrire dans celui de la modernité. Aux yeux de certains, le choc provoqué par la modernisation de la société est synonyme de progrès, mais pour Steinbeck et Ford, il est une source de souffrance endossée par les délaissés, ceux qui comme les cow-boys de Valance ou les mineurs de How Green was my Valley (1941) sont inexorablement abandonnés au "carrefour" des civilisations.
Quand Tom arrive, les propriétés sont vides, les familles parties et les tracteurs Caterpillar écrasent tout sur leur passage. Les images des machines détruisant les cultures de maïs sous le regard incrédule des derniers paysans sont particulièrement touchantes. Ici, Ford décrit une forme d’injustice qu’il exprime intensément dans d’autres scènes comme celle où le grand-père Joad crie son désespoir devant la situation : "Je ne vais pas en Californie. C’est mon pays et ma place est ici. Ma terre, elle n’est pas bonne, mais c’est à moi, tout à moi". Le vieillard pleure cette terre qui a vu naître et mourir tant de générations, cette terre qui, plus qu’un simple titre de propriété, est celle sur laquelle s’est inscrite leur lignée, celle qui a vu couler leur sang… Leur terre !