Le tournage du film, qui se présente comme un des premiers grands "road movies" de l’histoire du cinéma américain (1), débute en Oklahoma pour se terminer en Californie. Ford et son équipe suivent le chemin des Oakies et tournent l’essentiel des séquences en milieu naturel. Au terme de la réalisation, le film est rapidement monté et sort sur les écrans en mars 1940. Le succès est au rendez-vous, le film remporte deux Oscars et aujourd’hui encore,Les raisins de la colère est acclamé par la critique comme un chef-d’œuvre d’humanisme .Ce film aux valeurs universelles n’est pas le simple témoignage d’une crise sociale et économique, il va bien au-delà.
Dans un premier temps, il est bon de rappeler que l’histoire des Oakies ne reflète pas la situation de l’ensemble des paysans américains puisque dès 1932, la majorité des travailleurs agricoles reçut des aides de l’état. Le cas des familles de l’Oklahoma était donc exceptionnel et il faut rappeler que la crise, appelée couramment "Great depression", a essentiellement touché la population des villes.
Dans The grapes of wrath, John Ford crée une opposition entre le monde citadin et celui de la campagne qui n’est pas juste au regard de l’histoire : dans chacune des scènes qui voient la famille Joad entrer en ville, Ford dépeint un monde riche et renfermé qui rejette et met en exergue la pauvreté des Joad et par extension celle du monde rural. Dans la ville, tout est payant (Ford filme de façon récurrente des panneaux annonçant le tarif de l’eau ou du camping), les voitures modernes klaxonnent et bousculent le vieux camion des Joad, le regard des citadins fuit le spectacle de la misère…
Pourtant la pauvreté n’était pas absente de la cité, bien au contraire : c’est au sein des grandes mégalopoles que la crise atteignait son paroxysme et sur ce point Chaplin, avec ses Temps modernes (1936), avait une approche plus fidèle de l’Histoire. Ceci prouve que l’objectif de Ford n’était pas de signer un film documentaire mais plutôt de se poser au carrefour des civilisations. Comme souvent chez le cinéaste, les symboles embrassent l’histoire avec une ampleur infinimentplus large que celle décrite par le scénario.