Grand’Pa et Grand’Ma meurent durant le périple. La mort du couple-doyen, cataliseur de valeurs anciennes, concrètise l’amnésie et la mort de la mémoire, qui touche le film. Le grand père sera enterré sur le bord d’une route, sans plaque comémorative, orné d'un mot, afin que le lieu ne soit pas profané. Le respect pour l’ancien est touchant et témoigne de la terrible faille qui enfouit toute possibilité de retour en arrière. L’œuvre entière est un road-movie, ainsi qu'une mise en tension permanente de l’humain face à l’horizon, éternel mirage, et métaphore du futur. La route symbolise le Destin et le programme écrasant de leur migration obligée. Le prédéterminisme qui pourrait en découler, crucifie la notion de liberté, si chère dans la Constitution, le fondement politique et matriciel américain.
Si instable, l’idée de la progression sublime une réminiscence de la conquête du territoire, de l’Ouest. A ceci près que celle-ci est forcée et non déterminée. Le film est alors un palimpseste qui réactive et réactualise l’Histoire par un repli sur soi et une mise en branle en miroir de la conquête des États Unis : ce qui apparaissait inédit, euphorisant et dévastateur (avec le massacre des Indiens) pour les colons, lors du premier Exode, est devenu dériliction et appauvrissement de l’humanité. L'homme est à nouveau son meilleur ennemi. De plus, ce bégaiement est rendu tangible dans la mise en scène grâce à la courte répétition de petits mouvements de caméra lors de la démolition de la maison des Muley. Au-delà de l’appropriation d’une figure du montage russe imprégnés des travaux des formalistes, l’épreuve du bis-repetita déploie ses ailes pour agir comme un piston sur la narration et le versant politico-sociologique du film.
L’implosion de l’action pulvérise le ressenti. Son spasme la réédite cycliquement. L’événement est encaissé deux fois. La cruauté et le symbolisme de l’adaptation littéraire offrent des exclamations de cette nature. Les symboles tendent à raser des consciences étatsuniennes le mythe américain de la réussite agraire. Le premier symbole prend corps au tout début du film : Tom traverse un carrefour, exécution croisée de l’ancien face à la modernité, symbole de la mort, anticipation éblouissante sur le développement prochain du film. Un second symbole fort : l’accouchement dans la douleur de Rosasharn, sœur de Tom, qui exprime la souffrance et la naissance d’un monde dans le désarroi et le doute...