Article de Christophe Chemin (part1)
La Grande Dépression et ses séquelles économiques et sociales. L’originel Exode et un Eldorado… carcéral. Les raisins de la colère relate l’histoire d’un Ouest poussiéreux, hanté, aride, vidé d’humain et décapé de sa patine, de son Histoire, à cause des Dust Bowl, les tempêtes de poussières. Une terre sans chair. L’échec d’une facette du rêve américain et de « L’American Way of life ». Les entrepreneurs et l’Etat abandonnent leur terroir pour un esclavage moderne. La modernité de la démarche indutrielle est porteuse, a contrario, de valeurs naïves et populaires, puisque le film exalte la diamétrale isométrie entre les deux mondes. L’extraction des humbles gens provoque déracinement, dépression et mort. Un changement d’époque, de culture et de politique nationale. Les premières minutes accentuent implicitement cet ancrage : la caméra est éloignée de Tom lorsqu’il ouvre le film en arrivant à une station service. Il est pris en stop mais ne peut monter dans le camion. Il s’installe sur la marche de la cabine. La norme et la marge du monde. Tom est l’humaine métaphore de la dichotomie structurelle et ontologique du film. La fin du film ouvrira sur une conversion radicale de sa personnalité. Le camion, carcasse métallique, roule sur une carcasse de monde.
Nowhere…
John Ford, esthétiquement, exprime la perte et la faillite morale avec un noir et blanc sale. Les séquences de nuit plongent littéralement le film dans une atmosphère sinistre et ténébreuse. Ford joue avec la puissance graphique de l’espace vidé pour garnir son film de recherches expérimentales basées sur une abstraction, sur une dissolution visuelle et narrative, par le prisme de la profondeur de champs et d'éclairages quasi-expressionnistes. Le film s’appuie sur un vide créateur étourdissant, et sur la découpe intrinsèque du plan. L’homme et son environnement apparaissent comme deux entités à la fois contraires et complémentaires : l’homme y puise sa force et sa tristesse, il y puise son espoir et son abandon, y laisse son passé et son histoire, sans aucune ouverture de renouveau. L’abandon de la région et l’entêtement des fermiers à vouloir garder leur terre, couplent leurs gestes avec l’ultime souffle, le dernier sursaut de l’énergie du désespoir...