En 1985, Gilles Deleuze donne une nouvelle vision du néo-réalisme. Il lui assure une place déterminante dans l'histoire esthétique en le faisant apparaître comme le premier mouvement du cinéma moderne et lui découvre des accointances avec le cinéma d'Ozu. A peine la seconde guerre mondiale terminée, le cinéma italien connaît une situation exceptionnelle.
Dans aucun des autres pays engagés dans le conflit, la guerre n'a pas produit de rupture dans les cinémas nationaux. Les cinéastes d'après-guerre sont les mêmes que ceux d'avant-guerre et produisent le même type de film. En France, la situation est la plus caricaturale avec la perpétuation du réalisme poétique. Le néo-réalisme, en phase avec le changement moral et politique de son époque, est donc, assez naturellement, d'abord définit par son contenu social.
I - Le néo-réalisme, mouvement social :
En 1955, Carlo Lizzani définit le néoréalisme de "Mouvement général d'un groupe d'artistes vers la découverte humaine et spirituelle de notre pays". L'idée de découverte du pays, de cinéma miroir provient directement du marxisme. Pour le critique, le néo-réalisme ne constitue pas l'acte de naissance du cinéma italien. Il est lié à l'évolution du pays et du cinéma ; c'est une réponse au cinéma mussolinien.
Les précurseurs sont deux cinéastes : Alessandro Blasetti (1900) et Mario Camerini (1895-1981) et deux revues "Il bianco et negro" et "cinema". Elles ont lancé le mot d'ordre du néo-réalisme : "il faut descendre dans la rue." De Sica est associé à son scénariste Cezare Zavattini (1902-1991) depuis Les enfants nous regardent qui décrit la désunion d'un couple vie quotidienne, sans décors et sans stars. Mais il y manque le souffle révolutionnaire.
Pour Zavattini, il n'est pas essentiel que les personnages prennent conscience de leur oppression. Dans Le voleur de bicyclette, le héros ne comprend pas sa situation mais le spectateur en a conscience. En 1960, Raymond Borde approfondit les thèses de Lizzani en sous-titrant son livre "une expérience de cinéma social". Le travail est exhaustif mais le ton pamphlétaire : goûts et dégoûts sont affirmés avec assurance. C'est un livre de combat.
Borde exclut toute œuvre qui n'est pas précisément datée. Il faut des responsables faciles à désigner de l'injustice constatée. Il faut être dans la rue, dédramatiser au maximum. Les films jusqu'en 1949 reflètent bien la société et les problèmes sociaux. Ils racontent la guerre avec un souci d'appréhension globale de la société italienne et des problèmes de l'après guerre. La guerre a été durement ressentie en Italie.
Rossellini a été porté par la force des événements comme Renoir en 1936, alors qu'il était plutôt humaniste. C'est un choc salutaire, idéologique et économique. La thématique de la pauvreté va de paire avec la pauvreté des moyens esthétiques. Les cinéastes seront néoréalistes pour réveiller le sens de l'humain et mobiliser le prolétariat. Il y a union sacrée politique (trêve du tripartisme) et homogénéité forte du cinéma en 1960.
Borde s'intéresse plus à la thématique qu'à l'esthétique. La forme est sous évaluée. Se détache un "héros" : De Santis avec Pâques sanglantes et Riz amer. Visconti est jugé trop aristocratique, de Sica trop humaniste, Rossellini est pris comme tête de turc ; esthétique et thématique trop personnelle. Pour Borde le néoréalisme meurt après 1949. (Tant mieux !... FUCK tous les "ismes")