Ken Loach - Kierston Wareing : Angela & Leslaw Zurek : Karol
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Culturopoing
Après son escapade vers le film historique et la palme d’or reçue pour The Wind that Shakes the Barley, film pourtant plutôt mineur de sa filmographie, Ken Loach revient avec succès à son genre de prédilection : la chronique sociale dénonçant les pires travers du capitalisme.
Avec le réalisateur britannique inutile de préciser que l’on est depuis longtemps en territoire archi-connu et que ceux qui attendent d’un cinéaste un renouvellement permanent et une remise en question à chaque nouveau film ne doivent pas compter parmi les fans du monsieur.
Avant même que le film ne commence, on sait en effet déjà que l’on aura droit a une approche sociologique, que les personnages seront ancrés dans un milieu social défavorisé, que l’on aura des acteurs (plus ou moins amateurs) formidables de réalisme, que le regard humaniste porté sur les personnages ne sera pas dénué d’une certaine causticité, que l’humour aura toujours sa place malgré la noirceur du propos et qu’au final on aura une dénonciation sans concession du capitalisme parfois empesée par un excès de didactisme et des personnages portant un discours un peu trop évident.
« It’s a free world » ne déroge pas a la règle puisque Loach s’attaque, cette fois ci, à l’exploitation des travailleurs immigrés et en particulier des travailleurs issus d’Europe de l’Est. Tous les ingrédients de la cuisine Loachienne sont donc réunis. Mais voilà, même s’il serait excessif de parler de révolution, une évolution notable apporte un souffle nouveau à la petite musique du cinéaste.
La ou on pouvait s’attendre à suive le parcours semé d’embûches (pour ne pas dire le chemin de croix) d’un immigré courageux (forcément courageux) Loach a eu 2 bonnes idées. La première : s’attarder sur l’exploiteur plutôt que sur l’exploité. La deuxième : faire de cet exploiteur une exploiteuse se présentant sous les traits d’une charmante jeune femme ayant tous les atouts nécessaires pour attirer la sympathie du spectateur.
Ca n’a l’air de rien mais ce changement de point de vue s’avère évidemment beaucoup plus troublant et donc beaucoup plus intéressant. Il ne s’agit plus de pointer du doigt les agissements d’un tel ou d’un tel ou de chercher à déclencher la compassion en ajoutant une bonne dose de pathos (dont Loach parfois abuse) mais plutôt de questionner le spectateur sur ses propres agissements en faisant jouer l’identification que l’on peut ressentir pour un personnage a priori aussi sympathique.
En effet, Angie, jeune femme pleine d’allant rêvant d’indépendance a tout pour séduire. Après s’être fait licencier d’une agence d’intérim recrutant des travailleurs polonais pour avoir refuser les avances de son supérieur, elle décide de monter sa propre agence avec l’aide d’une amie, Rose. Cette envie de ne plus être un simple rouage de la machine et d’en devenir un élément moteur sera si forte qu’elle va entraîner notre entrepreneuse sur une pente de plus en plus glissante et finalement révéler un individualisme forcené destructeur pour ceux qui l’entourent.
Le choix que pose le récit est simple : Pour Angie la réussite de son entreprise ne peut se faire que sur les dos des travailleurs immigrés. Apparaît alors la question centrale du film : Est-ce que l’ambition personnelle justifie de passer outre la justice sociale ? Est- ce que la dureté de la société moderne justifie l’individualisme le plus forcené ?
Le film n’est pas totalement sans faiblesse surtout en ce qui concerne certains personnages secondaires qui paraissent bien fades par rapport à Angie. C’est en particulier le cas du boyfriend polonais bien trop prévenant pour être tout à fait crédible. Et c’est d’autant plus dommage que la façon dont Angie et Rose utilisent les travailleurs immigrés aussi pour assurer leur confort sexuel est l’une des bonnes idées du film.
Loach traite en effet cela d’une façon plutôt perverse en insufflant de la comédie lorsque les deux amies recrutent leur partenaire d’un soir parmi leurs intérimaires. Par ailleurs, on peut aussi regretter un petit coup de pathos pas forcément nécessaire lorsque le récit s’attarde sur une famille d’iraniens vivant dans un taudis.
Malgré ça, le film est une réussite qui parvient à porter un regard sans concession sur les actes d’Angie tout en ne la dépeignant jamais comme un personnage réellement négatif. La mécanique du récit l’enferme en effet dans un engrenage dont elle ne peut réellement s’échapper et sur lequel se brise son désir d’émancipation. Ironiquement, en voulant acquérir sa liberté Angie se retrouvera encore plus aliénée qu’auparavant.
Loach se rapproche un peu des Dardennes en suivant un personnage que le système pousse à commettre les pires vilenies. A la différence que, chez les réalisateurs belges, l’espoir est toujours présent, la rédemption et le pardon toujours en ligne de mire quand, chez Loach, bien plus pessimiste, la fin du film très noire nous décrit un système qui écrase même ses serviteurs les plus zélés.