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Angie est une fille de l’ère Thatcher. Jeune, dynamique, ambitieuse et pleine de charme, elle se donne corps et âme pour sa compagnie, une société spécialisée dans le recrutement d’interimaires étrangers. Et puis un jour le scandale arrive. Victime d’attouchements de la part d’un de ses responsables hiérarchiques, Angie laisse éclater sa colère. Elle quitte alors son emploi et doit trouver d'urgence un nouveau moyen de subvenir à ses besoins et assurer l'éducation de son fils.
Nullement découragée et forte d’un tempérament volontaire, elle persuade Rose, son ex-collègue, de monter une société d’intérim. Mais créer une société dans l’Angleterre d’aujourd’hui revient à se faire une place dans une jungle libérale que Ken Loach s’attache à décrire avec sa verve habituelle. Cinéaste militant, on avait vu Loach s’attaquer à la privatisation des chemins de fer dans The Navigators ou traiter de l’exploitation des immigrés dans Bread and Roses ou Just a Kiss.
Ici, il développe encore ce thème en peignant le portrait d’Angie, une femme d'abord victime sociale qui deviendra ensuite un véritable bourreau pour de nombreux clandestins. C’est l’ambiguité de ce personnage qui rend le récit si captivant. Le spectateur ressent d’abord de l’empathie pour Angie mais ensuite les choses changent: le bel ange blond doit tirer un trait sur sa morale et prendre des décisions peu scrupuleuses. On ressent d’abord une forme de compréhension ("Comment peut-elle faire autrement ?") jusqu’à ce qu’elle finisse par incarner l’immonde et l’insupportable.
Pris au piège, le spectateur se retrouve face à un miroir. Il est alors temps de s’interroger sur ses convictions, sa morale et son approche de la société capitaliste. C’est certainement ici que repose la grande force du film, cette capacité de Ken Loach à développer ou réveiller chez le spectateur une forme de conscience politique. Mais au-delà de ce talent pour venir stimuler notre regard sur la société, Ken Loach s’impose comme un des grands peintres de notre époque.D’un point de vue formel,le cinéaste est fidèle à son style et s’inscrit pleinement dans la veine hyperréaliste qui s’impose depuis quelques temps sur nos écrans. Ancrée dans des décors très naturels, sa mise en scène décrit avec précision et sans la moindre emphase l’Angleterre de ce début de 21ème siècle.
Il faut également souligner la finesse de la réalisation. Ici, il n’y a pas la moindre lourdeur, le montage fait preuve de dynamisme et le jeu des comédiens (éblouissante Kierston Wareing en tête) donne une belle énergie au récit. It’s a Free World... est l’une des perles de l’année 2008, une nouvelle preuve du talent de Ken Loach, une œuvre importante à découvrir évidemment de toute urgence !
François-Olivier Lefèvre