Critique de Marie Bigorie (12 septembre 2006) 1
Il a magnifié Marlene Dietrich. Il a sublimé Gene Tierney. Onze après L’Ange bleu, Jonas Sternberg alias Josef von Sternberg, Américain d’origine viennoise, délaisse Marlene. Après avoir réalisé en 1932 Shanghai Express en compagnie de son égérie, Sternberg renoue en 1941 avec l’exotisme fantasmatique qui lui est cher et nous plonge au cœur de Shanghai, ville de tous les vices et « moderne Tour de Babel ».Si The Shanghai Gesture réunit certaines idées chères au cinéaste–la déchéance de l’homme la dépravation et la perversion-la beauté de ce film mésestimé réside surtout dans son atmosphère fascinante, trouble, cousue de non-dits et dessinée par une série de personnages énigmatiques.Bienvenue au Casino de Mother Gin Sling. La roue tourne, faites vos jeux. The Shanghai Gesture ressort, pour le plaisir des yeux.
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« Mother Gin Sling Casino never closes. » À Shanghai, le monde entier se précipite dans la salle brillamment éclairée du Casino tenu d’une main de fer par l’étrange Mother Gin Sling. Les pièces tintent, les mains glissent sur et sous les tables, les pierres qui sertissent les colliers, une à une, disparaissent.Hommes et femmes se soumettent aux lois terribles du Jeu, avant de perdre et de s’y perdre Car l’impénétrable Mother Gin Sling fait commerce des faiblesses d’autrui. Détient-elle un pouvoir de vie et de mort, ou pire de survie sur ses clients (comme lorsqu’elle concède cinq mille dollars à un joueur en faillite pour lui permettre de rejouer) ?
Un homme qui se prénomme Docteur Omar pousse la porte du casino. Plan en plongée suivi d’un travelling Sternberg nous fait pénétrer dans la flamboyance du lieu, dans cette salle de jeux ornée de lustres brillants dans la beauté est violentée par le grouillement humain.Un panier en osier qui contient pièces et billets, suspendu par des fils dans le vide est tour à tour hissé et baissé. La verticalité des fils répond aux cercles concentriques dont est composée la salle, comme une arène. Le casino, c’est ce lieu où, tour à tour, les hommes se perdent et se rachètent, dans l’anonymat.