Virginia Huston : Ann Miller (la gentille fiancée,amoureuse inconditionnelle)
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La critique de DVD Classik(suite)
Eternel incompris, Mainwaring était avant tout un écrivain de talent, ami de Bogart (dont il fut l’attaché de presse) et de Robert Mitchum qu’il retrouve sur le tournage de La Griffe du passé.Son roman, qu’il jugeait médiocre, est scénarisé avec l’aide de Franck Fenton et de James M.Cain. On y retrouve les principaux ingrédients du film noir, tel que l’utilisation du flashback, la présence d’une femme fatale ou encore le poids du passé...
Out of the Past met en scène un ancien détective (Jeff Bailey) caché dans la petite bourgade de Bridgeport où il a repris une activité de pompiste. Mais, à l’instar de tout classique du roman noir, il est de règle que personne ne puisse échapper à son destin."Les griffes du passé" (excellent titre français) finissent toujours par rattraper les héros.Quand on découvre Jeff Bailey,il est installé au bord d’un lac où il pêche en compagnie de sa fiancée. Les deux amoureux enlacés s’inscrivent harmonieusement dans le tableau bucolique de la Sierra californienne.Malheureusement pour eux, ces instants sont de courte durée : un garçon sourd-muet, qui travaille avec Bailey, interrompt la scène pour le prévenir qu’un homme de la ville est à sa recherche.
L’équilibre est rompu et Jeff doit affronter ses vieux démons que la première partie du récit va s’employer à décrire...Bailey a alors rendez-vous dans la région du lac Tahoe avec son ancien employeur, Witt Sterling (Kirk Douglas).Il se rend sur place en voiture, accompagné de sa fiancée (par extension le public) à laquelle il raconte son expérience de détective au service de Sterling.Mainwaring, utilise alors le flash-back, figure récurrente du film noir, pour nous offrir un voyage inoubliable dans l’espace (la voiture se déplace vers Tahoe) et dans le temps.
C’est l’occasion pour Bailey de se souvenir des deux individus qui concourent à sa perte : Witt Sterling, homme d’affaires dangereux, et Kathie Moffet, jeune femme à la beauté diabolique dont le seul objectif semble être de manipuler les hommes qui croisent son chemin.Après avoir exposé ses personnages dans le premier tiers en flashback, Mainwaring revient dans le présent pour réunir de nouveau Bailey, Sterling et Moffet. Le récit prend alors des directions de plus en plus complexes, entraînant notre héros dans une succession de situations dont il ne pourra sortir intact.
Les rencontres entre Bailey et de nouveaux personnages se succèdent, chacune contribuant à l’entraîner toujours plus loin dans les abîmes de sa destinée.Le scénario prend ici une forme que les spécialistes du film noir (James Ursini et Michel Ciment notamment) qualifient de "labyrinthique". Si l’adjectif peut effrayer les spectateurs peu enclins à se perdre dans les dédales d’un récit dont ils ne maîtriseraient pas tous les tenants et aboutissants, il faut les rassurer :le scénario de Mainwaring ne ressemble en rien à celui totalement confus du Grand Sommeil (Howard Hawks, 1946) et fait preuve d’une "mécanique dramaturgique" parfaitement construite et compréhensible.
Si le script de La Griffe du passé frise la perfection dans sa composition, il possède également des dialogues merveilleux dont il est difficile d’attribuer la paternité à l’un des scénaristes crédités au générique .Néanmoins ,Roger Erbert assure que c’est Franck Fenton qui est à l’origine de ce florilège de répliques digne de Casablanca !! Parmi celles-ci, on peut retenir cet échange devenu culte entre Jeff et Kathie :Kathie à propos de Sterling :
-« I didn't know what I was doing. I didn't know anything except how much I hated him.But I didn't take anything. I didn't, Jeff. Don't you believe me ? »
-Jeff : « Baby, I don't care. »
Non seulement ces répliques claquent et s’inscrivent avec harmonie dans le récit mais elles définissent précisément les personnalités des protagonistes. Ce « I don't care » que Jeff jette à la caméra caractérise son flegme, son cynisme face aux évènements, tandis que le « Don’t you believe me ? » de Kathie insinue le mensonge, la manipulation. Ces dialogues géniaux,associés à la redoutable mécanique du scénario de Daniel Mainwaring forment un diamant brut dont l’orfèvre Jacques Tourneur va s’emparer pour le faire briller de mille feux...
Jacques Tourneur, un talent inné au service du film noir
Après avoir réalisé quelques chefs-d’œuvre fantastiques parmi lesquels Cat People (1942) -(LA FELINE), I Walked with a Zombie (1943) et dans une moindre mesure The Leopard Man (1943), Jacques Tourneur met fin à sa collaboration avec Val Lewton en 1943 et se tourne vers d’autres genres cinématographiques.Il signe d’abord un film de guerre assez laborieux (Days of Glory, 1944) puis un western à la beauté fulgurante (Canyon Passage, 1946). Mais s’il est un genre où le regard de Jacques Tourneur va prendre toute son ampleur c’est certainement le film noir.
En 1946, Warren Duff lui propose de réaliser Out of the Past, Tourneur accepte et signe à cette occasion un des grands classiques du genre où son art subtil du "non dit" laissera une empreinte indélébile.Souvent considéré comme le cinéaste du mystère, Jacques Tourneur prend un évident plaisir à manipuler le public. Out of the Past s’inscrit dans ce style avec des personnages étranges dont on ne connaîtra l’identité précise et les motivations finales qu’après une longue période d’exposition.La confession de Jeff, qui avoue à sa fiancée que son vrai nom est Markham, résonne avec écho dans la filmographie de Tourneur : de Cat People (Irena / la Féline) à Berlin Express (le vrai faux professeur Bernhart), ce thème de la double identité est, à l’évidence, cher au cinéaste d’origine française.