Feu d’artifice(s) : mythification, mystification, le ver est dans la pomme
Margo Channing,lorsqu’elle apparaît pour la première fois dans les coulisses du théâtre,est présentée sous le jour peu flatteur d’une diva en peignoir, aux cheveux contenus par des bandeaux disgracieux et au visage luisant de la cold-cream utilisée pour se démaquiller après sa performance.
Elle est non seulement physiquement repoussante, mais totalement infecte vis-à-vis de la jeune admiratrice que Karen a cru bon de lui présenter. Elle ne montre rien qui puisse attirer la sympathie : elle est hautaine, cassante, froide. À l’opposé, Eve ("the mousy one"-telle que la décrit Margo, autrement dit"la petite souris") ne saurait sembler plus inoffensive, plus quelconque : son imperméable la fait se fondre dans le décor, et elle ne cesse de baisser les yeux tandis qu’elle parle.
L’histoire de sa vie, telle qu’Eve la raconte ce premier soir dans la loge de Margo, entretisse habilement la confession presque impudique et la fiction tire-larme. Sans que jamais elle néglige de montrer à quel point elle est documentée sur ses nouveaux amis,ou de les flatter.
Le masque de désinvolture de Margo a tôt fait de tomber, elle écrase une larme et prend la petite Eve perdue sous son aile. Mais Birdie, la dame de compagnie de Margo (Thelma Ritter, l’incarnation du bon sens populaire) n’est pas dupe, et ne le sera jamais : « What a story ! Everything but the bloodhounds snapping at her rear end. » (« Quelle histoire ! Il ne manque plus que les chiens de chasse à ses trousses.)