Analyse/Critique par Jack Sullivan
Une remise de prix se déroule sous nos yeux, que commente en voix off Addison DeWitt (George Sanders), un chroniqueur acerbe du monde du théâtre, probablement en train de préparer son article du lendemain.
Dans l’assistance, nous apercevons un petit groupe de personnes aux visages tendus et fermés, tandis qu’il nous annonce que tout nous sera révélé sur Eve (Anne Baxter), qui est récompensée ce soir.
Dans le groupe en question, Karen Richards (Celeste Holm) se souvient au même moment de la manière dont Eve, la modeste admiratrice de la grande comédienne Margo Channing (Bette Davis) est entrée dans leurs vies...
La voix qui nous fait pénétrer dans ce film, la voix de celui qui incarne la duplicité dans ce qu’elle a de plus fielleux (Addison), est aussi celle d’un personnage qui se proclame grand connaisseur et observateur du monde du théâtre décrit ici : « (…) As you know I have lived in the theater as a trappist monk lives in his faith. » (« Comme vous le savez, j’ai vécu au sein du théâtre comme un moine trappiste vit dans sa foi. »)
Quelle mascarade sachant que Mankiewicz, qui a projeté un peu de lui dans le personnage de DeWitt, ignorait tout de cet univers, quoi qu’il rêvât d’en faire partie ! C’est sans doute aussi que la transposition est faite pour être transparente au spectateur : en réalité, Mankiewicz nous parle du monde du cinéma, de ses coulisses meurtrières et de ses luttes d’influence pour un coin sous les spotlights.
Il est amusant de penser que l’on assistait soudainement à une floraison simultanée de films traitant des coulisses du monde du spectacle : tandis qu’Eve était tourné à la Fox, Billy Wilder réalisait Boulevard du crépuscule chez Paramount, Nicholas Ray dirigeait Le Violent pour Columbia, et enfin le projet de tourner Chantons sous la pluie était en négociation chez MGM.Mais revenons en arrière dans l’histoire, nous aussi (ce n’est pas Mankiewicz qui nous reprocherait ce procédé).