Cinéclub de Caen -Analyse
Blow-up retrace avant tout le parcours d'un jeune homme, Thomas, qui essaie de sortir du milieu de photographe de mode, qui lui permet de gagner sa vie, pour devenir photographe d'art. L'intrigue policière constitue un écho, une variation à cette initiation. Elle est aussi et surtout une épreuve pour le spectateur qui, a chaque vision du film, ressort aussi ereinté que Thomas en ayant fait, comme lui, l'expérience de la multiplicité des regards à porter sur le monde.Blow-up est le récit d'une perte de contrôle et d'un apprentissage. Thomas, prenant conscience de son incapacité et de l'impossibilité de s'approprier le réel, apprend à le questionner, à revoir ses positions face à celui-ci et à prendre conscience du signe.
Thomas ne cesse de se tromper au cours du film et, en cela, accomplit bien un parcours initiatique (Selon le mythe de la caverne de Platon, l'erreur est nécessaire à la connaissance : au départ, on ne voit que les ombres, la connaissance c'est le mouvement de détournement, lorsque l'on se retourne pour voir l'objet réel).Thomas croit pouvoir maîtriser la réalité dans son studio de photos mais se trouve confronté à une réalité beaucoup plus complexe dans le parc. Il fait d'abord l’expérience du contact avec le monde réel par l’entremise de la photographie, laquelle n’était envisagé par lui jusqu’alors que comme un moyen de production, de fabrication d’images, d’icônes. Il redécouvre presque par hasard la capacité d’enregistrement et de témoignange de l’image photographique mais en surestime la portée.
Il croit d'abord avoir empêché un crime avant de comprendre qu'il n'a rien empêché du tout. Il croit tout pouvoir prouver avec la technique, celle de la photo, mais la preuve lui glisse entre les doigts. Thomas a beau se moquer de son ami peintre qui n'arrive pas à vendre ses "gribouillages", il sait que celui-ci possède un net avantage sur lui : il laisse advenir la réalité, le sens n'arrive pas de suite, il faut d'abord que le mystère prenne. Tel est probablement le sens du fameux son de la balle de tennis que veut bien percevoir Thomas à la fin du film. L'insert en parallèle de cette acceptation d'un son imaginaire d'une toile de son ami peintre suggère qu'il l'a rejoint dans son parcours artistique.
Au terme du film, Thomas a probablement beaucoup évoluer. Mais c'est aussi le spectateur qu'Antonioni cherche à mettre à la question.Beaucoup de commentateurs d'Antonioni qui insistent pourtant bien sur le côté très maîtrisé de son œuvre, où chaque objet qui pénètre dans le cadre semble avoir été longuement prémédité, ne semblent pas être sensibles au paradoxe qu'il y a à faire d'Antonioni l'apologue de la perte de maîtrise ou, ce qui revient au même, à faire de ce cinéaste toujours en quête de l'identification, de la communication difficile entre les êtres,le cinéaste de l'incommunicabilité.Dans l'Image-temps Gilles Deleuze proposait un paradoxe autrement intéressant : si Antonioni est le maître du "cadre vide et déserté" c'est parce que cela lui permet de mettre en place des "espaces indéterminés qui ne reçoivent leur échelle que plus tard, dans ce que Noël Burch appelle un "raccord à appréhension décalé plus proche d'une lecture que d'une perception."