L’importance des temps morts dans le récit
Laurence Schifano explique qu’Antonioni recompose une durée réelle par la présence de"temps morts"et par l’irruption arbitraire d’éléments bruts, documentaires, chaotiques.Il explore le personnage extérieurement, en le suivant dans les longues séquences qui mettent l’accent sur les temps morts.
Aldo Tassone relève :"Antonioni continue à filer ses interprètes jusque dans les moments où, une fois la scène bouclée, tout semble avoir été dit du point de vue de l’action.Dans ces "temps morts", la caméra tente d’aller recueillir, à l’intérieur même des personnages, les répercussions des événements. "Il est donc erroné de les nommer"temps morts" puisqu’ils ont une fonction précise", observait avec ironie le cinéaste."
Antonioni dit lui-même de ces temps morts que « sans ces moments de transition, qui sont les plus vrais pour moi, une histoire n’a plus d’intérêt ». La volonté des personnages est en effet plus remarquable que l’accomplissement de leurs désirs et les scènes s’enchaînent par des appels de tension plus que par des nécessités de logique narrative.
Rien ne se passe dans ces temps morts, mais la durée se dilate dans l’attente d’un événement capital qui ne se produit pas car la solitude de l’homme est inhérente à sa nature. Fabio Carpi qualifie le regard d’Antonioni de "regard laïc qui, à l’intérieur du plan-séquence, récupère les battements du cœur dans les temps morts". Il ajoute : "C’est un narrateur pervers qui détruit les histoires, auxquelles il ne croit pas, pour nous donner les cordonnées de la vie perçue comme une énigme existentielle."
On parle de modernité pour définir le cinéma d’Antonioni en raison de son choix de ne pas recourir aux structures traditionnelles de la narration. Ainsi, il ne s’agit pas tant de raconter une histoire que de suivre les personnages auxquels il s’attache. C’est pourquoi il conserve les "temps morts".
Dans la vie, ceux-ci ont en effet autant d’importance que les temps forts. C’est une autre forme de réalisme que celle que le cinéma a l’habitude de représenter, un réalisme que la critique française a qualifié de"réalisme intérieur".