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Une rupture avec la représentation traditionnelle de la temporalité au cinéma
Le brouillage des frontières temporelles
Le cinéma d’intrigue ou d’action se fonde sur l’enchaînement logique et sur le crescendo des émotions et des faits, donc sur une progression dramatique. Ce cinéma est lié à une temporalité caractérisée par la linéarité et par le mouvement. Cette temporalité ne convient pas aux voyages intérieurs que propose Antonioni.
C’est pourquoi il ne construit pas le récit du Désert rouge de manière traditionnelle. Pour qualifier la temporalité très particulière du cinéma d’Antonioni, Alberto Boatto parle d’une "temporalité dilatée, sans impulsion artificielle et sans progression linéaire". En effet, il n’y a ni flash-back ni anticipation, même lorsque le récit aurait pu le justifier.
Par exemple, il aurait pu y avoir un flash-back dans le récit pour figurer la tentative de suicide que Giuliana a fait passer pour un accident, mais à la place de cet effet de style, c’est un évènement similaire qu’Antonioni fait intervenir dans le récit. Giuliana paraît rejouer son faux accident en fonçant en voiture jusque devant la mer.
La tentative de suicide de Giuliana appartient ainsi au présent, non au passé. Le temps du film – qui, selon une formule d’Aldo Tassone, est « une sorte d’éternel présent, dilaté, suspendu, non progressif » – est celui d’une durée subjective.
Antonioni cherche à nous donner l’impression de vivre avec les personnages leur propre perception du temps, en acte, plutôt que de nous proposer une œuvre structurée en fonction d’une temporalité redécoupée a posteriori par le montage.