La nuit (La Notte) sur ARTE par Delphine Valloire(2)
Et au-delà de cela, le pouvoir de ces images se trouve dans leur graphisme très pur : une photographie renversante d’un blanc et noir d’encre (grâce au chef opérateur Gianni Di Venanzo) qui s’allie à un cadre au cordeau. Architecte de formation, Antonioni n’oublie jamais de situer les êtres qu’il observe dans un espace bien précis:Milan,en pleine métamorphose,défigurée par l’expansion industrielle. Giovanni et Lidia marchent ils arpentent véritablement une ville nouvelle (hôpital de luxe, villa d’architecte pour nouveau riche, banlieue en devenir). Leurs repères comme leurs souvenirs disparaissent peu à peu.
Toute cette virtuosité porte toutefois en elle même ses limites. À force de travail sur le symbole jusqu’à la plus totale artificialité, Antonioni est parfois sur le fil et son sérieux peut prêter à rire. Tout plan est littéralement lourd de sens. Il n’y a jamais de relâche. Comme le disait avec humour Chabrol à propos de ces films : "ça sue le boulot !".
Il est vrai que cette histoire est racontée sans un sourire, explorant une douleur de chaque instant. La mort hante chaque personnage : la mort d’un ami, du désir et d’un amour. Les deux héroïnes sont d’ailleurs vêtues au cours de la nuit de robes noires,comme des sœurs à un enterrement.Le film lui-même commence par un long travelling vers le bas scindé en deux plans, la caméra dans un ascenseur captant le reflet de la cité sur les fenêtres de la façade au son d’une musique discordante et expérimentale. Une longue descente qui n’en finit pas. Vers les enfers en quelque sorte.
Ce générique, d’après la revue italienne Ciak, était l’un des préférés de Stanley Kubrick. Son dernier film, "Eyes Wide Shut "(1999) adapté d’une nouvelle de Schnitzler, se calque d’ailleurs presque la même trame : un couple qui expérimente les tentations de l’adultère pendant une journée puis semble se dissoudre et se perdre dans la fête pour peut-être renaître au matin par le corps dans un hypothétique assouvissement du désir.