La nuit (La Notte) sur ARTE par Delphine Valloire
Un homme est en train de mourir à l’hôpital. Tommaso (Bernhard Wicki) écrivain en souffrance, se confie à un couple qui le visite, ses deux meilleurs amis : Lidia (Jeanne Moreau) et Giovanni (Marcello Mastroianni), lui aussi écrivain. Tous les deux expérimentent différemment la douleur de perdre Tommaso. Giovanni se rend ensuite à la fête de lancement de son nouveau livre.Puis,le couple,de plus en plus mutique,se prépare à sortir.Leur nuit (« La Notte » du titre) commence dans une boîte de strip-tease pour s’achever dans une fête donnée dans la villa d’un industriel richissime.
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Commentaire/Analyse :
La figure centrale de ce film est un concept abstrait : un couple qui se désintègre plan après plan. Cette disparition est le cœur même de cette trilogie : il est question de la recherche d’une femme disparue dans"L’Avventura"et de deux destinées qui se séparent et disparaissent l’un à l’autre dans « L’Eclisse ».
Ici le couple Giovanni / Lidia est incarné par deux acteurs au summum de leur gloire en France et en Italie : Jeanne Moreau et Marcello Mastroianni.L’équation fait apparaître un troisième personnage qui va déclencher à la fin l’inévitable CQFD:Valentina,la fille de l’industriel (jouée par Monica Vitti...superbe), une jeune héritière brillante et désabusée qui est, consciemment ou non, manipulée par le couple. Au matin, elle leur lance d’ailleurs : "Vous m’avez vraiment épuisée vous deux !"
La radicalité de ce chef d’œuvre est toujours aussi fascinante aujourd’hui : quasiment une expérience en soi, il prend la forme d’un véritable jeu de piste, où il s’agit de décrypter sur des visages presque fermés toutes les émotions. Le travail d’Antonioni sur le signe dans l’image se lit dans chaque plan.Par exemple, Lidia au cours d’une de ses promenades enlève la rouille d’un mur, croise un enfant qui pleure dont on ne voit pas le cri dans le cadre puis observe une horloge cassée. Elle regarde sans cesse le ciel et les envols(un hélicoptère, des fusées, un avion) avec mélancolie.
Le mot « salaire » dans la bouche de l’industriel se raccorde avec une image de cage à oiseau dans un jardin. Un chat entêté fixe une tête de statue du regard. Un hôpital devient ironiquement une sorte de night-club quand le dernier champagne est servi dans une chambre. Une foule applaudit un cheval. Une femme noire en robe blanche effectue un striptease acrobatique en jouant avec un verre de vin. L’absurde est là. La poésie parfois.